La révolte des mondes

Chapitre 2

Conrad sentit tout d'abord des picotements parcourir son corps de long en large, puis ceux-ci se transformèrent progressivement en tiraillements de plus en plus intenses. Il eut soudain l'impression d'être violemment écartelé, au point qu'il ne put refréner un léger cri de douleur. Puis tout s'arrêta. Conrad ouvrit les yeux et commença par masser ses muscles endoloris. Les prochains sauts, il l'espérait, seraient moins éprouvants.

Il régla le délai entre chaque bond sur dix minutes, le temps pour les moteurs de se recharger, et se dirigea vers sa cabine. Il comptait mettre à profit ce temps pour se laver et se préparer. Un rapide coup d'œil au miroir accroché au-dessus de son évier lui confirma ce qu'il redoutait déjà : un mois d'isolement total ne l'avait pas embelli, bien au contraire. Sa barbe remontait en broussailles jusqu'à ses pommettes, ses joues étaient creusées, et ses cheveux formaient une épaisse touffe hirsute. Il s'était toujours demandé à quoi il pourrait ressembler s'il se laissait pousser les cheveux assez longtemps. D'après ce qu'il voyait actuellement, il ne valait mieux pas tenter l'expérience. Heureusement, il possédait des atouts qui contrebalançaient largement ses problèmes capillaires : des yeux d'un bleu intense, et un sourire charmeur qu'il s'efforçait de conserver à coup de lavage de dents minutieux. Il s'était d'ailleurs plusieurs fois attiré les railleries de ses camarades contrebandiers sur ce point, se laver les dents pendant un voyage étant passé du statut de « facultatif » à celui de « complètement inutile » au fil des années.

Il entreprit de se raser la barbe, tandis que Cortana égrenait le compte à rebours avant le prochain bond. Arrivé à zéro, il ne ressentit qu'une légère secousse et la voix de Cortana retentit dans le vaisseau : « Prochain saut dans dix minutes, monsieur ». Lorsqu'il eut fini de se raser, il monta dans la petite douche, à peine assez grande pour contenir son corps massif. C'était lui-même qui avait décidé de réduire la zone habitable du vaisseau à son strict minimum, préférant allouer plus d'espace à la soute, d'une part, mais aussi et surtout à Cortana. Cette intelligence artificielle dernier cri lui avait coûté un bras, et prenait par-dessus le marché une place considérable. Sans parler de la dépense d'énergie supplémentaire pour la faire fonctionner... Mais Conrad ne se souciait pas de ces désagréments. Cortana lui tenait compagnie et cela lui suffisait amplement.

Il sortit de la douche juste à temps pour l'entendre répéter de nouveau : « Prochain saut dans dix minutes, monsieur ». Il n'avait même pas senti le précédent. Il s'habilla rapidement, puis revint devant le panneau de contrôle. Alors qu'il s'apprêtait à consulter ses registres de cargaison, la pièce s'illumina brutalement, à tel point que Conrad dût se couvrir les yeux. Il lui fallut un moment pour s'habituer à la lumière, et lorsqu'il put enfin y voir de nouveau, il contempla le spectacle qui s'offrait à lui.