— Ce n'est pas de repos dont j'ai besoin. Je dois partir. Voir le monde. Je n'en peux plus d'être confinée ici, surveillée en permanence. J'étouffe, je lâche enfin.

Breugan se redresse et ses lèvres forment un o parfait. Il sait ce que ma phrase induit et par conséquent, ce à quoi je pense renoncer. Il secoue la tête et ses lèvres se mettent à bouger, sans aucun son. C'est à mon tour d'être surprise devant son comportement.

— Si vous partez, le Conseil vous remplacera, souffle le Démon.

Je repousse le dossier de ma chaise au maximum, jusqu'à voir le plafond. Un nouveau soupir s'extrait de mon corps tandis qu'un sourire triste prend petit à petit place sur mes lèvres.

Pourquoi ma vie doit-elle se résumer à une série de sacrifices ? J'en ai assez d'être celle qui doit tout perdre sans jamais rien gagner. Je ne suis pas prête à perdre cette bataille. Mais je ne suis pas sûre de pouvoir en supporter les conséquences.

— Si je reste, j'ai peur de ce qu'il adviendra de moi, j'avoue à demi-mot.

Je sens Breugan se tendre et baisse péniblement les yeux vers lui. Je ne peux pas prétendre savoir ce qu'il pense. Il ne me connaît pas vraiment, alors qu'importe qui je deviens au fond non ? Pour lui, ça sera toujours mieux que qui je suis. 

Puis je reprends une position plus naturelle, les avant-bras sur mes genoux, le dos arqués. J'entrelace mes doigts et fixe mon interlocuteur dans les yeux. Breugan est assis droit comme un I, ses yeux fixés sur son cahier fermé. D'un claquement de doigt, je ramène son attention à notre conversation. Je n'ose parler plus haut, de peur d'être entendue. Je ne veux pas que l'on se serve de mon ressenti contre moi.

— Je ne suis pas aveugle. Je sais que je suis observée en permanence et ça me rend dingue. Je ne veux pas être leur cobaye. Je ne pourrais pas régner correctement en me sachant autant...souillée. Qui plus est, le Chaos fait toujours rage aux dernières nouvelles. Que ça soit sur Terre ou sur Idan. Les démons n'ont peut-être plus de dettes envers ce monde-là, mais moi oui Breugan. Je ne peux simplement pas rester ici à attendre que tout se règle parce qu'une bande de vieux croûtons me pensent incapable de régner, j'annonce, plus fort que je ne le voulais.

La colère m'a submergée sans que je ne m'en rende compte. En voyant le regard affolé de Breugan, je fronce les sourcils. Est-ce que mes yeux ont encore virés au rouge ? Ce n'était pas intentionnel ! Mais le jeune homme se contente de se lever, s'incliner et se rasseoir si sèchement que je m'étonne qu'il ne pousse pas au moins un gémissement plaintif. Je décide alors de me retourner, pour y découvrir un visage familier. 

Adossée au mur adjacent la porte de la salle, habillée de son éternelle tenue jean, haut, veste en cuir et bottes noires, Lilith m'observe avec un sourire. Ses cheveux roux retombent en cascades sur ses épaules carrées et mettent en valeur son tatouage flamboyant en forme de pique. L'ancien bras droit de mon père se détache du mur et s'approche de moi tout en applaudissant mon discours qu'elle a –j'imagine- entendu. Je me lève à mon tour, tandis qu'un sourire se dessine sur nos visages. Arrivée à ma hauteur, la Démone me prend dans ses bras et je soupire d'aise.

— C'est le genre de discours passionné qui caractérisait ton père, murmure-t-elle à mon oreille.

Mes yeux s'emplissent de larme à cette pensée. Je romps notre étreinte pour retrouver un semblant d'impassibilité, mais Lilith me connaît trop bien. Si Dame Madera n'a fait que me persécuter et faire de moi un monstre, Lilith a été une véritable sœur pour moi. Bien qu'elle est quelques milliers d'années de moins que moi, elle a toujours été d'une maturité incroyable et une alliée redoutable. A mes côtés, Breugan ne sait où donner de la tête, bien que Lilith lui adresse un clin d'œil.

Les Chroniques d'Idan (tome 2) : La Première ReineWhere stories live. Discover now