Le danger est multiple : contamination de l'air et du sol, effondrements, effets secondaires dus à la profondeur toujours croissante des galeries, inondations, poches de gaz... L'enquête préliminaire menée au pays m'a appris qu'en moyenne, l'espérance de vie d'un mineur de Derry ne dépasse pas trente-cinq ans. Le village a été frappé d'accidents effroyables, parfois inexpliqués. La terre tend à absorber les mineurs qui l'exploitent. Pourtant, la population perdure.

Mes supérieurs m'ont remis une liste des occupants actuels du village, dans la mesure de leurs connaissances. Ils sont deux-cents-quinze en tout, hommes, femmes et enfants. Tous sont originaires du continent ou de l'intérieur de l'île. Ils ne touchent pratiquement rien pour le travail qui est le leur. Pourtant, jamais Derry n'a connu la moindre grève. Du point de vue de mes employeurs, cette ville est l'exploitation parfaite : main d'œuvre docile à bas prix, très haut rendement, métal précieux. Mais je ne peux me départir du sentiment de malaise qui m'étreint en surplombant le village.

Personne ne vient m'accueillir. Je sais avant même de pénétrer dans les rues que la vie ici est misérable : pas de circulation, pas de marché, pas même l'odeur fraiche du poisson qui irrigue l'atmosphère des petits villages du Sud. A mesure que je m'approche, j'aperçois les maisons se dresser telle une rangée de dents branlantes, le vent jouant dans les scissures qu'on a laissées libres. Il doit faire aussi froid à l'intérieur que sur cette plage dénudée. Pas de fumée sortant des cheminées, pas de séchoirs laissés au Soleil, et toujours aucune vie.

J'agrippe malgré tout ma résolution. Il est midi : tous les villageois doivent être en plein travail à la mine. Une bâtisse un peu mieux achalandée que les autres porte le sigle de mes employeurs : je m'y presse en espérant rencontrer ici le responsable de la colonie.

C'est une femme qui m'ouvre la porte. Les premières secondes, son aspect me laisse sans voix, et je dois faire appel à tous les résidus de mon éducation pour me ressaisir et lui tendre la main :

- Bonjour, dis-je en me présentant. Je cherche monsieur Everett Lewis. Vous pourriez m'aider ?

Elle ne répond pas à mon salut. Elle me contemple, créature pâle et décharnée, vêtue d'une robe de toile si usée qu'on en voit la corde. De longues années de travail à la mine en ont teinté la moindre fibre de cette nuance rouge si particulière qui la fait paraitre nimbée de sang. En détaillant la villageoise, je me rends compte que le phénomène s'étend à sa peau, ses ongles, ses cheveux, et même ses yeux : la teinte semble avoir imprégné toutes les fibres de son être, tel le fruit d'une longue et terrible usure.

Contenant mes émotions, j'essaye d'estimer son âge : ses traits ont fondu sur son visage émacié, ses os saillent sous la peau pendante, et pourtant, elle ne doit pas avoir plus de vingt ans. Elle me dévisage de ses yeux caves, la bouche agitée de tics nerveux, agrippant désespérément le tablier qui enserre sa taille :

- Il n'est pas ici, répond-elle finalement.

Son regard passe à travers moi. Je ne sais qui de nous deux impressionne le plus l'autre : elle me fait l'effet d'un fantôme, alors que ma seule présence fait naitre des crispations dans ses poings serrés.

- Vous savez où il est ? j'essaye malgré tout de demander poliment.

Ses iris se tournent vers la falaise :

- A la mine, dit-elle.

Une forme de vie presque sauvage anime ses traits lorsqu'elle prononce ces mots. Stupéfait, je la vois baisser la tête sur ses jambes plantées dans le sol et marmonner pour elle-même des paroles incompréhensibles.

- Vous savez quand est-ce que je pourrai le rencontrer ? je lui demande avec un sourire encourageant.

- Il m'a demandé de vous attendre ici, répond-elle d'un ton sec. Il m'a dit de vous attendre, et maintenant, je ne peux pas y aller...

Contes MacabresDonde viven las historias. Descúbrelo ahora