VIII-"Je ne tue non pas par plaisir, mais par obligation".

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Il git là, à mes pieds. Cet adolescent avait sa vie devant lui, et moi, je l'ai tué. Et tout ça pour quoi? Pour gagner des points, pour sortir d'une prison dont j'ignore la raison mon incarcération. En y repensant, c'est un résonnement égoïste : je me sert d'eux pour assouvir mon ascension au sommet de la pyramide de la peur. Je suis un animal sauvage, guettant sa proie, attendant qu'elle relâche son attention pour m'empresser de lui sauter dessus avec autant d'ardeur que la nature ne m'en a donné pour mieux la tuer. La différence principale entre cette bête et moi, c'est qu'elle, elle le fait pour pouvoir manger. Moi, je pourrai me contenter de faire peur aux humains comme convenu, sans pour autant les tuer ; et pourtant, j'exécute aveuglément les ordres d'une psychopathe-fantôme dont Epiales a convenue qu'elle serait ma tutrice! Je ne tue non pas par plaisir, mais par obligation. Je pourrai me révolter, me rebeller contre Alwenna, mais ça n'y changerait rien : son but à elle est d'obtenir une promotion grâce à mon classement...

Alors, ai-je vraiment bien fait de le tuer? De toute façon, il est mort, maintenant. Il ne faut pas avoir de remords : ce qui est fait est fait. Mais il reste une question d'éthique : autant, tuer des cochons pour me nourrir ne me dérange pas (il faut aussi avouer que ce n'est pas moi qui les tuent, mais quand même...), autant tuer un humain est différend. En y repensant, j'ai déjà eu plusieurs altercation avec la mort : j'ai tuer un petit garçon sans savoir que c'était un Killmefirst, et quand j'ai cru qu'Alwenna allait me tuer, je ne me suis pas enfuis. Alors pourquoi? Pourquoi cette mort m'affecte autant? Est-ce parce que je suis sur Terre, ou bien est-ce parce que cet ado n'a pas une grande différence d'âge avec moi? Peut-être qu'après tout, le rouquin m'a lancé un sort pour que je ne ressente aucune pitié? Ca expliquerait pourquoi je n'ai pas hésité à le tuer...

Le liquide rouge s'écoulant de son dos et ruisselant sur sa joue blanche me fait frémir. Je m'approche de lui, et soulève délicatement sa tête, pour avoir devant moi sa figure, pour voir une dernière fois sa dernière expression.

Je cligne des yeux, et les ferment un moment. Je suis à quatre pattes, près de lui -si près! Un autre liquide, transparent cette fois, s'écoule de mon œil: une goutte tombe délicatement dans ma bouche, me laissant un arrière-goût salé. Je pense -non, je suis sûr, même-, que c'est ce liquide qu'on appelle ''larmes''. C'est étrange : plus j'en produis, et mieux je me sens ; comme si j'étais sur un radeau emporté par le courant, dérivant sur une rivière près d'une cascade : la chute est inévitable, mais je me dis qu'une fois passée, ce ne sera qu'une expérience enrichissante de plus.

Je rouvre les yeux : ses yeux sont exorbités, ses sourcils littéralement orientés vers le haut, sa figure est allongée et sa bouche est grande ouverte. Il est tétanisé. Le vent souffle derrière moi, une bourrasque fait s'envoler des feuilles mortes. 

-Ecoute, c'est normal si tu es...

Je me retourne, et voit Maty se pencher vers moi. De toute évidence, il ne trouve pas le mot adéquat pour finir sa phrase. Ce n'est pas grave : moi non plus, je ne le connais pas. Pourquoi cet adolescent m'émeut-il à ce point? Je repose le cadavre à sa place, je ne sais pas ce que je dois faire. Alors, en faisant une moue dont je ne connaissais même pas l'existence, je me retourne vers Maty et lui demande : 

-...Tu...Tu es fier de moi?

-...Oui, bien sûr. Allez viens, on rentre. Je te ramène au manoir, et je retournerai nettoyer après. La mission est terminée, et tu nous a bien aidés. Ils...Ils sont tous morts, conformément à l'objectif. Ne t'inquiète pas, ça te rapportera des points. Tu vas t'en sortir, ne t'inquiète pas.

Je me relève, la tête dans les vapes, et le suit jusqu'au manoir. Ma tête est vide, je ne pense à rien. Maty me parle, mais je n'écoute pas : ça rentre par une oreille et ça sort par l'autre...Vide, vide, il faut que je fasse le vide. Ne penser à rien, à part mon objectif : survivre. Mais pourquoi? Pourquoi dois-je tuer pour survivre? Je manque de m'évanouir à plusieurs reprises. Maty peine tant bien que mal à me soutenir par l'épaule ;  et malheureusement pour lui, je ne fais aucun effort pour rester avec les pleines possessions de mes moyens. 

On arrive au manoir : je peux le voir, sentir sa peinture écaillée, apercevoir sa façade délabrée,  humer cette odeur de sang de porc, et ressentir ce calme assoupissant. Maty monte les marches de l'escalier du manoir quatre à quatre, pour chercher de l'aide. Je ferme les yeux. J'entends au loin les cris perçants de mon camarade alarmant la maisonnée de mon état. Je m'en fiche, Alwenna tient beaucoup trop à sa promotion pour me laisser à l'abandon, alors je sais qu'ils viendront tous m'aider. Je sens comme des mains m'agrippant de toute part, me soulevant. Je ne sais pas combien ils sont à me porter, mais je ne dois pas peser lourd de toute façon. On me monte jusqu'à ma chambre, où ils m'abandonnent sur mon lit. Je m'endors aussitôt.

Quelques heures plus tard, à mon réveil, j'entends une drôle de conversation :

-Alwenna, tu ne penses pas sérieusement qu'on pourrai...

-Bien sûr que si. Quand on vous refile une personne peureuse pour l'élever sous prétexte d'une promotion, on ne peut pas refuser. Alors, même si ce n'est pas dans ses prédispositions naturelles, je me forcerai de l'éduquer comme je pourrai...

-J'ai bien compris, ça. La question est plutôt de savoir "comment"...

-Ne t'inquiète pas, j'ai mon idée là-dessus... 

Spooky Freaky TimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant