13. Hégémonie

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« Le chaos n'appartenait pas au passé, mais aux possibles. »

Paz, 11-12 Juin 2138


« Prends l'appel, souffla-t-elle.

Le majordome décrocha le téléphone virtuel et la voix de Lysen retentit dans la pièce.

« C'est moi. Tu n'as pas vu mon message ? »

Oublié était le mot.

Peut-être se mentait-elle. Lui gardait-elle rigueur, inconsciemment, de l'avoir remplacée à son poste de liaison ? Normalement, le poste aurait dû être doublé, gage de la collaboration croissante entre l'Union Fédérale martienne et le Bureau. Mais, au dernier moment, Aléane avait été limogée par une simple note descendue de haut lieu.

Les grincements de dents d'Eszter Varga ne montaient pas assez haut pour déranger le directeur du Bureau à Budapest, aussi Aléane avait-elle fait ses valises pour employer ses compétences scientifiques ailleurs.

Lysen s'était montré courtois et avenant, peut-être même trop. Par son attitude, Aléane pensait lui avoir suffisamment signifié qu'il atteignait une limite infranchissable. Ce nouvel appel lui montrait qu'elle se trompait.

Elle s'assit sur son lit en retirant ses chaussures.

« Tu voulais me parler ?

— Un instant, que je trouve un endroit tranquille. »

Elle l'imagina traversant un couloir, quadrant à l'oreille, entrant dans une cage d'escalier ou fermant derrière lui la porte d'une salle de com' isolée phoniquement.

« Oui, Aléane... comment vas-tu ?

— Bien, depuis que la Cellule m'a mise au placard. J'attends toujours mon autorisation d'émigration, quelque part sur une des listes de sélection.

— Écoute, je suis désolé.

— Je ne t'en veux pas.

— Nous en parlerons un jour, Aléane. Mais j'ai quelque chose de plus important à te dire. Les hégs ont prévu de faire quelque chose à Paz, demain. Je ne sais pas quoi. Personne ne sait. Le BIS est sur les dents. On pense que des groupes de radicaux sont entrés dans la cité hier, sans se faire repérer, et qu'iels vont déclencher une manifestation ou une émeute.

— Je suis censée faire quoi ? Ne pas bouger d'ici ?

— Écoute, je ne suis censé en parler à personne, mais au moins je t'aurai prévenue.

— Je dois aller à l'université, Lysen.

— Fais-toi porter pâle. Dans tous les cas, les ordres sont en train de circuler. Il y aura bientôt des drones sur place.

— Lysen...

— Oui.

— C'est grave, n'est-ce pas ?

— Disons que, depuis que tu as quitté les bureaux, les hégs ont vraiment fait des progrès. »

Il lui raccrocha au nez.

Aléane avait appris à ne pas avoir inutilement peur, mais cela lui reprenait parfois. Il n'y avait pas de plus grande peur que celle de ne pas savoir. Ne pas savoir à quoi il fallait se confronter. Ne pas savoir de quoi il fallait avoir peur.

Que les hégs ciblent une Cité Libre tenait de l'évidence même.

Mais quel résultat attendaient-iels ?

Le Temps des ÉlusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant