8. Envoûtement

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Odette

Toute la journée, Odette avait vu la colère de celle qui fut jadis son ami œuvrer. Toute la journée, elle avait espéré que Siegfried arriverait. Car plus les heures passaient, plus les modèles qu'il avait dessinés se transformaient en tenues qu'il ne pourrait approuver.

Elle n'avait rien pu dire, elle n'avait d'ailleurs même pas essayé. Elle connaissait trop bien l'horrible magie qui habitait Odile pour oser s'y frotter. Elle s'était contentée d'assister, impuissante, à ce sabotage programmé. Car Odile lui avait avoué, elle avait tout préparé.

Elle était venue la chercher dans sa chambre à peine le jour levé, et, en tournant sournoisement autour de sa création malgré elle dévoilée, elle lui avait expliqué comment se terminerait cette journée ... exactement comme treize ans auparavant elle s'était achevée.

— J'ai bien vu ce garçon tomber amoureux alors qu'il avait à peine posé ses yeux sur toi. Ces même yeux que j'ai observés te chercher si souvent ces treize derniers jours. Je vous ai vu aussi, hier soir, ici même, vous enlacer, vous embrasser. Père était là, sur le toit, et à travers ses yeux je voyais. C'était beau. Vraiment très beau, continuait-elle en appuyant chacun de ses mots. Émouvant même. Mais tellement navrant. Car tu sais aussi bien que moi ce qu'il va arriver. Tu sais bien qu'il ne pourra pas te sauver, riait-elle volontiers. Père t'a maudis Odette. Il te l'a dit, tu lui es redevable à vie. Alors tant que battra son cœur, ce cœur que tes parents ont eux-mêmes rempli de douleur, tu n'auras pas le droit au bonheur. Arrête d'espérer. Arrête d'essayer, poursuivait-t-elle en touchant avec dédain l'étoffe de plumes exposée sur le mannequin dans le fond de la chambre. Et si tu veux éviter de faire souffrir ce pauvre garçon inutilement, je te conseille d'obtempérer et de bien suivre le plan.

— Et quel plan ? avait osé demander Odette.

— Tiens-donc! J'avais oublié que tu savais parler, joua l'étonné Odile. Treize années de silence face à moi, je pensais que tu en avais perdu l'usage de ta voix. Remarque non, suis-je bête, la provoquait-elle plus encore, si tu étais devenue muette, je ne t'aurais pas entendue toutes ces nuits où tu pleurnichais sur ta triste vie comme une fillette.

Face à l'arrogance de celle qui été définitivement rongée par la méchanceté, Odette ne pouvait rester sans réaction. Elle s'etait pourtant promis depuis ce soir maudit qu'elle ne lui donnerait plus aucune raison de l'humilier. Elle se l'était juré quand Odile l'avait approchée alors qu'elle réchauffait comme elle pouvait chaque extrémité de son corps frigorifié d'avoir passé toute la journée sur le ponton gelé, et que du haut de ses dix ans et demi, Odile avait eu l'aplomb de lui balancer que tout ce qu'elle subissait était mérité. Que sa mère et son père l'avaient bien cherché. Elle en était restée choquée bien évidement, elle qui croyait encore naïvement que son amie était venue la réconforter dans la difficile épreuve qu'elle subissait.
Mais celle-ci n'avait cherché qu'à davantage la blesser.

Alors devant la menace, elle avait ce matin craqué. Elle ne pouvait laisser Siegfried se faire ainsi malmener, par sa faute qui plus est, sans au moins essayer de se rebeller.

— Quel plan ? avait-elle renouvelé sa question, ne faiblissant pas face à son démon.

— Le plan qui fera que Siegfried oubliera bien vite tes jolis yeux car c'est avec moi qu'il finira ses jours heureux.

Odette avait poussé l'affront jusqu'à rire devant cette absurde conclusion. Car si elle s'était effacée autant qu'elle l'avait pu ces treize dernières journées pour éviter de le croiser et de laisser ses sentiments s'amplifier, elle n'avait pu totalement se résigner et avait passé beaucoup de temps à l'observer en secret. Elle était restée tapie derrière chaque trou de serrure non bouché par une clé, chaque porte laissée sans le vouloir entrouverte, chaque fenêtre qui lui avait permis de le voir tous les matins arriver, et tous les soirs rentrer. Alors, elle savait qu'Odile ne parviendrait jamais à faire qu'il puisse l'aimer, elle l'avait suffisamment épié pour percevoir qu'il lui vouait un dégoût chaque jour un peu plus prononcé.

L'Oiseau de NoëlHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin