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Ileana

La jeune fille est sous le choc. Et pire encore, elle est choquée d'être sous  le choc. Elle ne s'est jamais sentie aussi fébrile, aussi désarmée. Il  aura fallu à Katherine trois phrases, trois maudites phrases pour  l'abattre, pour la mettre sous terre.

« Vas-y, si tu penses que ça peut t'aider à te sentir mieux.  Repousser les autres pour te protéger ? Te donner un genre pour  impressionner ? »

Ileana est perturbée. Jamais personne n'a osé hausser le ton  avec elle. Son masque lui a toujours permis de se faire craindre,  respecter. Il l'a toujours protégée mais voilà que cette brune étrange a  décidé de réagir, de se manifester. Ileana a bien fait de couper court à  la conversation, elle en est persuadée. Et puis, c'était plus fort  qu'elle. Cette fille ne la connaît pas et lui propose de l'aider. Il y a  anguille sous roche ; la brune n'a aucune raison d'être gentille avec  elle, surtout après toutes les méchancetés qu'elle lui a sorties.  Pourtant, elle ne peut ignorer cette boule au ventre. Si elle n'était  pas une experte en la matière, elle aurait presque pu s'imaginer que  Katherine lui portait, elle ne sait pas trop, de l'intérêt ? Non, non,  elle dit n'importe quoi. L'adolescente essayait juste d'être polie. Ce  n'était rien de plus.

Cela doit faire une bonne heure qu'Ileana cogite dans ce lit inconnu  sans parvenir à trouver le sommeil. C'est dans la pénombre, presque dans  le silence complet mis à part la respiration lente et régulière de  Katherine qu'elle imagine profondément endormie, qu'Ileana murmure,  d'une voix si basse, si suave, qu'elle même a du mal à s'écouter :

« Pardon. »

Quelques minutes plus tard, la jeune fille trouve le sommeil et sa respiration se mêle à celle de l'inconnue à ses côtés.

Malgré les nombreux rideaux recouvrant la vitre, les premiers rayons  de soleil illuminent la chambre vers le coup de sept heures ce qui ne  dérange pas Ileana, habituée à se lever tôt. Il n'y a pas mieux que se  réveiller à l'aube et sortir courir. Il fait froid, très froid en ce  mois de février mais ce n'est pas un frein pour Ileana qui ne raterait  son footing matinal pour rien au monde. Comme les livres, la course est  une source d'oxygène pour elle. Oui, elle ne se voit pas vivre sans  lecture tout comme elle ne se voit pas vivre sans courir. Tous deux, à  leur manière, forment une sorte un refuge pour l'adolescente. Plonger  dans un roman revient à plonger dans un autre monde, s'immerger dans un  autre univers. Cela revient à vivre une autre vie. Être quelqu'un  d'autre l'espace de quelques chapitres. Et Ileana adore ça. Sans compter  la course, perçue elle aussi comme étant un abri par la jeune blonde.  Le vent, la nature, la vitesse. Oui, ce sont tous ces éléments qui lui  permettent de s'évader le temps d'une course. Qui lui permettent de  vivre, ou plutôt, de revivre. Qui lui permettent de fuir. Fuir ses  pensées, fuir sa souffrance, fuir ses démons. Même si parfois, elle ne  sait pas trop si elle court pour les rejoindre ou pour leur échapper...  En réalité, lorsqu'elle court, elle ne sait plus rien. La plupart du  temps, elle ne sait même pas où elle va, donnant à son corps le pouvoir  de la contrôler. N'est-ce pas en ça que consiste la liberté ? Ne rien  contrôler, être entourée de la nature, se faire bercer par le bruit du  vent, le son des battements de son cœur, le rythme de son souffle...

La jeune fille a des étoiles plein les yeux rien qu'en y pensant et  c'est sans bruit qu'elle se lève et rejoint la salle de bain. Une fois  sa simple routine matinale finie– se laver les dents, mettre de la crème  hydratante et se brosser les cheveux– elle va s'habiller. En enfilant  son legging, sa brassière de sport, son t-shirt, sa veste et ses  chaussures de course, Ileana repense à la « dispute » de la veille. Elle  est perturbée par l'attitude de Katherine. Elle jette un coup d'œil à  la jeune brune plongée dans son sommeil et elle la trouve paisible,  détendue, sereine. Cette simple vision la touche. Elle en ignore la  raison mais elle se voit touchée par cette fille endormie. Cette fille  qui n'a pas hésité à l'accueillir dans sa chambre. Cette fille qui a  tenté des approches vers elle malgré une attitude qui en aurait  découragée plus d'une. Oui, Ileana est touchée par cette fille endormie  qui, voulant tout simplement aider, s'est retrouvée confrontée à une  fille sans cœur. Cette dernière l'intrigue et elle ne sait pas trop quoi  penser de cette situation. Mais elle comprend que si celle-ci n'est pas  facile pour elle, elle ne doit pas l'être non plus pour la brune.  Ileana pense même à s'excuser. Mais elle a trop de fierté. Cet égo  surdimensionné qui la protège indéniablement, mais qui l'a empêché de  faire des rencontres, qui lui a fait perdre des personnes... Ce putain  d'égo dont elle n'arrive pas à se détacher. La blonde s'apprête à sortir  de la chambre mais ose un dernier coup d'œil sur la fille allongée.  Elle secoue la tête et sort de la pièce. Non, elle ne fera pas le  premier pas. Elle ne changera pas ses habitudes pour quelqu'un qu'elle  ne connaît pas. Elle ne changera pour personne.

C'est du bruit provenant de la cuisine qui sort l'adolescente de ses  pensées. Elle descend les marches des escaliers, surprise de ne pas être  la seule reveillée. Elle retrouve Fanny, qui s'active aux fourneaux.

« Et moi qui voulais vous surprendre au réveil ! S'écrie l'adulte lorsqu'elle aperçoit Ileana.
__ Bonjour.
__ Comment tu vas aujourd'hui ? Tu as bien dormi ?
__ Oui, merci.
__  Tant mieux ! Oh, je vois que Katherine t'a fait part de ses habitudes, »  dit Fanny en détaillant la tenue sportive d'Ileana. Cette dernière ne  comprend pas et demande alors:

« Pardon? Quelles habitudes? »
La mère d'accueil lui répond, l'air étonné :

« Katherine sort souvent courir, je pensais, vu ta tenue, que tu y allais avec elle. »
C'est au tour de la blonde d'être étonnée :

« Je n'étais pas au courant. J'ai l'habitude de sortir courir au moins cinq fois par semaine et puis, Katherine dort toujours.

__ Vous avez déjà un point commun, ce n'est pas génial ça ? Pourquoi  n'iriez vous pas courir toutes les deux ? Je suis sûre que Katherine en  serait enchantée, et la connaissant, elle ne va pas tarder à se  réveiller. »

Ileana détourne le regard face à cette proposition et se sent  terriblement mal à l'aise. Fanny n'est pas au courant de l'altercation  de la veille et elle ne veut pas lui mentir. Elle est obligée de lui en  parler :

« À vrai dire Fanny...

__ Bonjour.»
Katherine les rejoint dans la cuisine, en tenue de sport.

« Quand on parle du loup, lance l'adulte en faisant un clin d'œil à la blonde toujours aussi gênée. 
__ Vous parliez de moi ? Elle regarde Fanny, et évite Ileana.
__  Oui, figure toi qu'Ileana s'apprêtait à sortir courir. N'est-ce pas une  bonne coïncidence ? Je lui proposais justement d'y aller avec toi. »

Les deux filles baissent les yeux, embarrassées; la mère d'accueil leur demande, surprise :

« Que vous arrive-t'il les filles ? Tout va bien ? »

Ileana prie pour Katherine mette fin à ce moment gênant en prenant la  parole mais celle-ci ne dit rien. Le silence dure quelques minutes  durant lesquelles se livre un duel entre les deux adolescentes. Aucune  des deux ne veut briser le silence. Fanny n'est pas de cet avis et  reprend, d'une voix forte :

« Je vous ai posé une question. Que se passe t'il bon sang ? » Contre  toute attente, c'est en parfaite harmonisation que les filles répondent  d'une seule voix :

« Rien. »

Le regard de l'adulte passe de l'une a l'autre et celle-ci n'a pas  l'air convaincue. C'est d'un ton qui se veut désinvolte qu'Ileana prend  la parole une nouvelle fois :

« Alors, on y va ? » Elle évite soigneusement le regard de la brune,  fait un signe de la tête à Fanny et sort de la pièce en saisissant une  bouteille d'eau au passage. Elle entend la conversation reprendre dans  la cuisine et profite de ce moment de solitude pour cacher son visage  dans ses mains. Ce n'étaient pas des paroles en l'air: Katherine ne veut  vraiment plus lui parler. Elle l'a senti, dans la cuisine. Katherine  aurait pu tenir des heures sous ce silence. Elle aussi d'ailleurs. Mais  ça la dérange. Elle préfèrait quand la brune s'intéressait un peu à  elle. Elle aimait bien l'attention qu'elle lui portait. Elle ne peut  s'en vouloir qu'a elle-même pour ce retournement de situation. Et elle  qui voulait sortir courir pour se défouler!

Katherine (tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant