Taxi Fauve [Terminé]

Partie 1

Jusqu'alors indistincte, la forme apparaît au bout de l'allée, dans sa ligne de mire.

Accélérer... Maintenant !

Ses foulées aériennes et déliées gagnent encore de l'envergure. Peu à peu, la cible de Mehdi prend corps dans son viseur et ses contours se font plus nets. Il ne la lâchera pas du regard : ses yeux brillants aux pupilles dilatées ne cillent plus. Il s'agit de finir le travail proprement, que tous les efforts consentis jusqu'ici ne soient pas vains. Ses longs segments s'élancent vers l'avant et se replient sous lui avec une souplesse et une puissance félines. Les amples foulées dévorent rageusement la piste caillouteuse.

Soudain, sur la gauche, derrière une haie de ronces, une masse sombre et un éclair lumineux attirent l'attention de Mehdi. Sa capacité à percevoir ce genre de détails infimes, qui ne collent pas avec le reste de la scène, est louée par tous ses instructeurs au CNFPJ (Centre National de Formation à la Police Judiciaire). Mais il ne doit pas se déconcentrer si près du but. Ne pas tout foutre en l'air.

Accélérer encore. Instinctivement, son cerveau et ses sens se focalisent à nouveau sur l'objectif, à 60 mètres, désormais parfaitement net, tangible. Il augmente sa cadence de course à la fréquence maximale. Ses pointes de pied griffent le sol et les impacts claquent, brefs, secs, toniques. Il fond sur sa proie, impitoyable.

Plus que 20 mètres. Ne pas se relâcher. L'organisme de Mehdi passe machinalement en mode anaérobie pour l'effort final. Visage déformé, bouche grande ouverte, sa lèvre supérieure retroussée dévoile une rangée de dents blanches et carnassières. Il y est presque et tend le bras vers l'avant. Plus que quelques centimètres.

Top ! Sans même décélérer, il consulte sa montre. 4'10''43. Son poing se serre et un juron de satisfaction résonne dans la forêt. Il vient de pulvériser son record de plus de sept secondes. Les épreuves sportives de fin de mois ne seront qu'une formalité et, en prime, il va mettre une déculottée à ses camarades de caserne. Un large sourire se dessine sur son visage ruisselant de sueur, encore marqué par la violence de l'effort.

Tout en détendant ses muscles, Mehdi traverse la clairière de long en large, tâchant de reprendre des rythmes cardiaque et respiratoire normaux. Ses pensées se portent déjà vers la phase d'étirements mais une petite lumière rouge clignote toujours dans son crâne. Une image s'imprime aussitôt sur sa rétine : cette forme entraperçue en bordure de chemin n'avait rien à faire là. Autant en avoir le cœur net.

Arrivé à proximité, il quitte l'allée et s'enfonce de quelques pas dans les bois. C'est le bourdonnement des nuées insectes qu'il perçoit en premier, bien avant les légères effluves de méthane et d'ammoniac. L'examen visuel ne fait que confirmer le diagnostic. Une jeune fille brune repose à même le sol, fixant le ciel, le visage paisible, marbré de taches violacées. Au-dessus d'un élégant tour de cou argenté s'enroule un foulard carmin très serré, trop serré.