L'appât du gain // Guizmo

XII. L'revers de la médaille

" Cette envie de m'tailler commence à me ronger. À vrai dire, elle me pèse énormément mais j'prends mon mal en patience. Je sais pertinemment qu'un jour tout ça cessera, que j'serai loin de tout, d'absolument tout..."

Ça fait un bout de temps que Morgan nous as quitté, déjà quelques mois que l'imam du quartier a lavé le corps de notre frère avant de le drapper. Quelques putains de mois que mes démons refont surface, que j'ai plus les idées claires. J'enchaîne teh après teh, et quand ça suffit plus bah j'entame une Ballantine's. Je suis en train de devenir une épave. Une épave.

On a dû annulé la transac' suite aux événements, Daninho était furieux mais il était tellement choqué par la perte de Morgan que sa colère ne fut que passagère. Asia avait suivit l'mouvement, elle le connaissait pas plus que ça mais respectait notre deuil. Elle avait prit du galon la p'tite, alors qu'on était tous anéantis par la tristesse elle gérait le réseau comme une grande. La mosquée du quartier était blindée, même ceux qui baignaient dans les pêchers jusqu'au cou s'y étaient rendu pour se recueillir en quête de pardon. Putain, quand j'me dis que la mosquée est vide les trois quarts de l'année et qu'il suffit d'un décès pour qu'on ouvre les yeux... L'imam était heureux mais savait pertinemment que dans quelques semaines les gens oublieront les événements et retourneront à leur quotidien remplis de risques et d'illégalité : le quotidien de tous les soldats d'la Caravelle qui militent jours et nuits pour ramener des ouss'.

J'étais dans une période assez bizarre. Ouvrir une teille et me la vider en quelques gorgée est devenu normal pour moi. J'vivais une descente aux enfers mais l'alcool me laissait penser que j'allais au paradis. La précarité, les problèmes et la tristesse qui m'enlaçaient m'étaient devenues familière, presque rassurante. Brams, qui a toujours eut la main lourde sur tout ce qui était alcoolisé, ne m'aidait pas non plus. À vrai dire il devenait même pire que moi... On passait nos nuits à picoler dans les caves et à enflammer nos joints. J'voyais presque jamais la lumière du jour, de toute façon j'crois bien que j'en avait pas envie.

Les jours passèrent, et Daninho décréta qu'il était temps de reprendre les affaires, deuil ou pas. J'étais dans l'mal, Jack Daniel's était devenu mon meilleur ami. Hichem, mon pote Hichem, il essayait de faire de son mieux pour me traîner dehors et me faire voir autre chose que la fumée et la boisson. Parfois il m'emmenait chez Nour quand j'étais ivre-mort, et elle était d'autant plus triste que son prétendu futur mari s'est révélé être un gros fils de pute.

La cité c'était devenu Resident Evil, une cité remplie de zombis dont les seules valeurs résident dans les billets mauves. La cité c'était Bagdad, c'était tellement le zbeul que les voitures de police n'osaient plus s'aventurer au-delà des premiers bâtiments et c'était courant de devoir servir de la drogue à des mères d'enfants en bas âge.
La Caravelle c'était devenu un tiek' sans foi ni loi, la jungle.

Les mois passèrent, l'quartier se dégradait et nous aussi. La mère de Morgan avait insisté longuement pour que j'hérite de la bagnole de son fils, celle qu'il me promettait de me léguer si jamais il venait à canner avant moi. Si seulement il avait su...

Je pouvais toujours pas accepter qu'il nous ai quitté. C'était trop dur à réaliser. Parfois la vérité est plus belle quand on la couvre de mensonges. Alors j'me forçais à faire comme si il n'était jamais parti, comme si il allait apparaître au coin de la rue et m'inviter à boire un verre au bar du quartier. On irait se fonceder comme des gamins sur le toit de notre bat' et on admirerait le coucher de soleil jusqu'à ce que les premières étoiles apparaissent dans l'ciel. Puis on irait sûrement faire les 400 coups avec nos acolytes de la street, foutre le feu à la bagnole d'un fils de pute ou bien voler quelques billets dans la caisse d'un magasin de luxe ; ou bien on irait taper un foot nocturne au city stade. La bonne époque...