Chapitre 3

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CHAPITRE 3: Intempéries

 Après le repas, nous nous rendîmes tous dans un petit salon. En son centre, un piano à queue était posé sur une estrade devant un tabouret deux places habillé de velours vert sombre. Alistair et Emma allèrent s'asseoir sur un canapé du même velours en face du piano. Je les suivis en espérant que Will aurait oublié sa condition. Malheureusement pour moi, comme je le pensai, ce n'était pas le genre d'homme à oublier quelque chose.

-Ma chère Alice, tu n'aurais pas oublié quelque chose? Me rappela Will en me tendant une main.

Je la pris et le laissai me tirer vers le piano. Je m'assis sur un bord du tabouret et lui sur l'autre. Il était vraiment près de moi. Tellement près, que je pouvais sentir son délicieux parfum flotter sous mon nez. Un fumet mielleux avec une touche d'acidité exquise.

Lorsqu'il commença à jouer, je me laissai bercer par ses douces notes. Il jouait remarquablement bien. Moi-même, qui pourtant ne me débrouillais pas mal, je ne jouais pas aussi bien que lui. Je le regardais jouer avec émerveillement: je partis de ses longs doigts rapides et agiles, glissant sur les touches du piano avec grâce, à ses bras musclés sur lesquels étaient remontées les manches de sa chemise noire, et je finis par son magnifique visage en m’arrêtant sur ses yeux perçants. Il tourna la tête vers moi et me regarda dans les yeux. Je rougis bien sûr, mais je ne réussis pas à baisser les yeux. Lui non plus ne voulait pas détourner les siens, et continuait à jouer tout aussi bien que quand il regardait la partition devant lui. Ses yeux étaient encore plus beaux de près. Soudain, je me rappelais que nos parents respectifs pouvaient nous voir et je n'aimais pas ça. Je détournai enfin la tête pour voir s’ils nous avaient vus en train de se fixer plus longtemps que la normale, en espérant que non. Mais ma mère et le marquis n'en avaient pas loupé une miette et un grand sourire éblouissait le visage de ce dernier. Lorsque je retournais la tête vers Will, il regardait de nouveau sa partition alors qu'elle ne lui servait à rien. Je le vis pour la première fois depuis mon arrivée esquisser un petit sourire presque imperceptible. Je n'en étais pas sûre, mais j'avais l'impression qu'il se moquait gentiment.

Quand arriva la fin de la musique, le marquis et Emma applaudirent. Moi je ne fis rien.

-C'était magnifique Will! Le félicita ma mère.

-Merci, dit ce dernier. Alice, vous avez aimé?

-Oui, vous jouez très bien.

Tout à l'heure, il m'avait tutoyé, et là, il recommençait à me vouvoyer. Etrange.

-Est-ce-que vous jouez d'un instrument? Me questionna-t-il.

-Oui.

-De quel instrument?

-Du piano. Mais je ne joue pas aussi bien que vous, avouai-je.

-Tu joues très bien quand même, assura ma mère.

Will esquissa un nouveau sourire. Pas moqueur cette fois.

-Me ferez-vous l'honneur Alice, de m'accompagner au piano pendant que je jouerais du violon?

-Allé Alice, insista ma mère, accompagne-le.

-D'accord, cédai-je. Qu'est-ce que l'on joue?

-Ave Maria de Schubert, vous connaissez?

Je hochai la tête. Il se leva du tabouret et je pris place en son milieu. Il installa la bonne partition devant moi et prit son violon. J'étais stressée mais j'essayais de me calmer pour ne pas faire de fausses notes. Nous commençâmes à jouer. J'étais très concentrée mais je n'en perdais pas moins la grâce de mes mouvements. Lorsque je fus plus sûre de moi, je levai la tête pour regarder Will. Le violon contre son cou, le visage serein, il me regardait. Nos yeux se rencontrèrent encore une fois. Il y avait une lueur joyeuse dans les siens.

Plusieurs minutes plus tard, une fois le morceau terminé, nos parents nous applaudirent. Je regardais Will: lui aussi me regardait en applaudissant. J'eus honte de moi. Je ne l'avais même pas félicité tout à l'heure, alors que lui n'avait pas hésité.

-Merci pour tout Alistair, mais il est l'heure que nous rentrions, déclara Emma.

-Très bien. Je vais appeler Sébastian pour qu'il vous ouvre la porte, dit le marquis.

Il secoua une petite clochette et quelques secondes après, l'employé qui nous avez guidé à notre arrivée débarqua dans la salle.

-Oui, monsieur? Dit Sébastian.

-Pourrais-tu raccompagner ces demoiselles à leur voiture.

-Certainement monsieur, mais il serait préférable qu'elles ne partent pas ce soir.

-Pourquoi donc? S'indigna Alistair.

-Il pleut des cordes, le jardin est tout inondé, et nos invités risqueraient d'avoir un accident monsieur.

-Oh!

Le marquis, comme tout le monde dans la pièce, regarda par la fenêtre.

-Nous nous amusions tellement que nous n'avions pas remarqué le changement de temps.

Je jetais un coup d'œil à Will: il avait encore un petit sourire moqueur.

-Bien Sébastian vous pouvez partir, ordonna Alistair. Emma, Alice, nous allons vous faire préparer des chambres. Cela me réjouit de vous voir rester chez moi, dans cette grande demeure d'ordinaire si vide!

-Si cela t'enchante, alors nous restons de bon cœur! S'exclama ma mère.

Alistair secoua de nouveau la petite clochette et Sébastian déboula dans la salle.

-Dîtes à Maria de préparer deux chambres pour nos invités.

-Bien monsieur.

Et Sébastian repartit.

-J'espère que vous ne vous couchez pas trop tôt pour pouvoir tenir le plus longtemps possible compagnie à Will qui ne s'est réveillé il n'y a que quelques heures! Dit le marquis.

-Nous ferons un petit effort aujourd'hui ne t'inquiètes pas, assura Emma.

-Parfait! Emma, que dirais-tu d'aller prendre un petit digestif dans une salle plus chaleureuse?

-Bien sûr, allons-y!

Avant de partir, Alistair se retourna vers Will et moi et s'exclama:

-Amusez-vous bien les enfants! A tout à l'heure!

Ne me rejette pasWhere stories live. Discover now