Distique.
L'Automne s'est posé comme un voile sur la ville. Le lycée luit sous le ciel bleu, et les feuilles rougeoient, crépitent tel le bois que la flamme consume. Un brasier bruyant est balayé par les vents. Et les nuages viennent de l'Est, partent à l'Ouest. Ils passent puis on les oublie. La Terre est un ciel rond, où s'ébattent plein de minuscules nuages. Puis la foule s'énerve, se brusque, et les nuages deviennent amas. Puis la foule se rencontre, s'adore et l'amas devient tempête. Puis la foule s'énerve, pleure, la foule se blesse. Vient l'orage, ouragan, père dévastateur. Et dans cette folie temporelle, le soleil guérit les plaies de ses enfants malmenés. Et le ciel est pansé par le ciel. Et la Terre embrasse l'espace, en une courbure parfaite que l'œil ne peut qu'aimer.
TaeHyung est assis dans la cafétéria. Son regard perdu fixe les gens. Les gens bougent, les gens l'aperçoivent, alors il détourne les yeux, regarde d'autres gens. Il ne les voit pas vraiment. Il ne distingue que leurs peintures colorées, défraîchies par les lumières jaunes au plafond. Il ne s'intéresse pas à qui ils sont. Il se contente de contempler leurs façades rutilantes. Et même s'il sait que les gens mentent, il imagine un peu leur vie. Il compare leurs sourires aux siens. Il s'oublie un peu en eux, mais lorsque leurs regards se croisent, il détourne les yeux. Ses doigts nerveux écorchent sa miche de pain. Il commence par la mie, termine par la croûte, et délaisse les ruines de son ravage en un désert émietté, trésor sur son plateau vide.
Il y a des affiches colorées sur les murs. Il y a des jeunes qui parlent fort. Et dans cette hiérarchie, chaque table est comme un empire, dont le territoire ne va que d'un bord à l'autre, d'une étiquette à une autre. TaeHyung n'a ni empire, ni étiquette. TaeHyung a un ami qui s'appelle Hoseok. Hoseok est assis en face de lui et rattrape ses exercices de maths, un écouteur dans l'oreille droite. De là où il est, TaeHyung devine ce qu'il écoute. Le grésillement de la guitare parvient à ses oreilles, slalomant à travers la cacophonie humaine. TaeHyung regarde sans voir, dépeçant nerveusement son malheureux bout de pain. Quand Hoseok a fini son équation, il referme son cahier et sourit à TaeHyung. Le garçon silencieux croise son regard et lui sourit en retour. Puis ils récupèrent leurs affaires et s'en vont. Juste avant de partir, TaeHyung jette les morceaux de cadavre mutilé dans la poubelle et laisse son plateau comme il l'avait trouvé, vide.
Et s'il n'avait pas baissé les yeux vers ses chaussures en sortant de la cafétéria, il l'aurait vu. Et si JungKook n'avait pas regardé l'heure sur sa montre en poussant la porte, il l'aurait vu. S'ils avaient écouté leurs âmes poétesses, leurs pupilles se seraient foudroyées.
Pendant le cours de maths, il pleut. TaeHyung s'ennuie alors il range ses mains dans les manches de son gros pull et s'affale sur la table pour regarder les gouttes. Tous ces petits points tâchent la vitre. Chacune d'entre elles contient un monde où le relief est déformé. Et chacune d'entre elles change la Terre à sa façon. TaeHyung baisse ses lunettes pour que la couleur du ciel ne soit pas entachée. Mais sans, les gouttes deviennent floues et leur monde se distord puis se brise. De honte, il remet ses lunettes, sort de ses rêves et se concentre sur le tableau sans couleur. JungKook traverse le couloir au même moment, d'un pas lent. Il passe à côté d'une baie vitrée et s'arrête. NamJoon et YoonGi continuent de marcher, sans le remarquer. La vitre est parsemée de gouttelettes. JungKook les photographie des yeux, son esprit y perçoit déjà un poème qu'il n'écrira pas. Puis il pose ses pupilles dans le ciel, et il distingue un carré bleu, un point de peinture trop vif sur cette toile triste. JungKook reprend sa route mais se souvient de la couleur. Car elle était belle.
Peut être que dans une autre réalité où TaeHyung n'a pas de lunettes, ils regardent les gouttes couler le long des vitres, ensemble.
