Regard

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Ça y est, on était lundi.

Le matin Julianne eut une heure de classe agitée mais tenable avec un autre groupe de deuxième année.

Elle mangea sur le pouce, elle ne pouvait rien avaler, ses autres collègues plaisantaient, riaient de bon coeur mais elle ne pouvait pas penser à autre chose qu'au cours à venir. Elle croisa plusieurs fois le regard de M. AMIRA qui la regardait comme une bête de foire mais elle ne fit aucun commentaire. Elle se sentait ridicule, et honteuse qu'il ait pu la voir dans une situation pareille. Elle ne savait pas s'il avait pu en parler à ses collègues ou pire, à ses supérieurs mais elle refusait d'y penser. Elle tenta de faire de la respiration abdominale pour se calmer, de respirer lentement, de faire le vide dans sa tête mais l'image de son collègue à la porte, les élèves en train de se battre devant elle la hantait.

A la sonnerie, elle croisa M. BAGUET le professeur d'EPS, lui adressa un sourire cordial et s'engagea dans le bâtiment. Les élèves n'étaient pas là. Elle entra seule dans la classe, tria ses photocopies, alluma le rétroprojecteur, prépara sa fiche d'appel et attendit. Au bout de 5 minutes, elle commença à s'inquiéter lorsqu'elle entendit des cris et des bruits de course dans le couloir. Ils déboulèrent un par un dans la salle en criant "Bonjour Madame", les tables crissaient sur le carrelage, les sacs jetés par terre s'éventraient laissant échapper des feuilles à moitié griffonnées, tout ça dans un chahut innommable. 

Lorsqu'ils furent assis, par terre, sur les tables, les uns sur les autres voire sur leurs chaises pour deux d'entre eux, l'enseignante tenta de faire l'appel. Ils répondirent, par des cris d'animaux pour la plupart. Au bout de deux minutes, la seule fille de la classe, Léa, entonna une chanson paillarde bien connue de tous a priori. Ravis, les autres élèves la reprirent en chœur. Julianne tenta de s'énerver, elle les menaça, puis s'assit et les regarda se disant qu'ils finiraient pas se rendre compte par eux même que ce n'était pas un comportement adapté pour des élèves de leur âge. Elle les fixa tous, un par un. La plupart ne la voyaient même pas lorsqu'elle croisa le regard de Guillaume, il la regardait fixement. Elle se dit qu'il avait probablement pitié pour elle, ou qu'il s'amusait de la voir souffrir. Elle ne détourna pas le regard. Au milieu de ce vacarme, de ce brouhaha infernal, elle le regardait, il avait une expression calme et apaisante. Sa carrure et sa musculature visible sous son t-shirt élimé avait quelque chose de rassurant. 

Il cessa de chanter.

Elle continuait de le fixer, suppliant qu'il ne détourne pas le regard, implorant qu'il la laisse se raccrocher à ses yeux doux.

Léa vit que Guillaume ne chantait plus, elle se tut et s'aperçut que quelque chose clochait, les autre l'imitèrent peu à peu et dans le  calme qui revenait, Julianne tenta de reprendre le contrôle, lâcha sa bouée du regard et présenta son cours. Aucun des élèves ne suivit, ils étaient absorbés dans leur téléphone, dans leur conversation avec leur voisin ou rêvassaient.

Guillaume avait croisé les bras sur la table, il posa sa tête dessus et parut s'endormir le reste du cours.

Les semaines passaient et les cours se succédaient, Julianne éprouvait rarement du plaisir à enseigner. Au mieux, les élèves faisaient semblant d'écouter, les écouteurs de leur MP4, coincés sous le bras, au pire, elle était obligée de se battre, de les sanctionner, de s'énerver, le plus souvent pour rien. Un matin elle vit qu'elle avait un courrier dans son casier, elle devait effectuer ses premières visites sur les lieux d'apprentissage de ses élèves. Les adresses étaient indiquées ainsi que la grille d'entretien et les items à contrôler.

Elle décida de commencer par Guillaume. Elle appela le maître d'apprentissage et fixa un rendez-vous pour la semaine suivante, le vendredi à 18h, à la fin de leur journée de travail. 

Madame.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant