West road suite 15

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Debout devant la fenêtre, elle observait la lune qui jouait à cache-cache avec les nuages déchiquetés par le vent... La dernière nuit d'Abel dans la chambre bleue. Elle observa un moment la couverture du livre qu'elle venait d'abandonner au beau milieu du lit. Inutile de s'obstiner ! Même la lecture n'était d'aucun secours pour l'empêcher de sombrer dans le désarroi. Il s'agissait d'un bon livre pourtant ! Un de ces récits d'aventure exotique qu'elle affectionnait tout particulièrement. Demain, elle parviendrait peut-être à reprendre le fil de l'histoire... Demain ou jamais. Involontairement, Abel lui avait fourni des émotions et des sensations pour un bon moment. Plusieurs années peut-être bien ! Elle savait déjà qu'elle penserait souvent à ce garçon comme à un ami rencontré trop tard; un ami qui, dans un autre temps, aurait pu... Abel et elle. Quelle idée saugrenue ! Immorale ! Et alors ? C'est lui qui avait abordé la question du désir charnel ! Pourquoi n'aurait-elle pas ce fantasme ? Pourquoi aurait-elle dû avoir honte d'imaginer le corps nu d'Abel contre le sien ? Il lui semblait entendre les encouragements du jeune homme au milieu des sifflements du vent : « C'est bien, miss Lowie ! Vous êtes sur la bonne voie ! ». Une histoire d'amour... Voilà ce qu'elle venait de vivre ces derniers jours. Une histoire d'amour imaginaire, éphémère, platonique. Mais ne s'était-elle pas toujours satisfaite de choses simples en définitive ? De petits bonheurs dérisoires ? Et même d'un rêve secret aussi fragile que les ailes d'un papillon qu'une pluie d'orage vient froisser.


 La chambre baignait dans une semi clarté quand elle s'éveilla. La fenêtre dessinait un rectangle pâle et la ligne d'horizon, au-dessus de la prairie, était comme frangée d'écume rose. Quelle heure était-il ? Cinq, six heures ? Stella s'apprêtait à traverser la rivière quand elle avait brusquement ouvert les yeux avec une impression de frustration intense au creux du ventre. Elle aurait tant voulu découvrir ce qu'il y avait sur l'autre rive, derrière l'alignement de pierres! Dans son rêve, elle errait à travers un champ sans fin de hautes herbes et d'un seul coup, elle s'était retrouvée au bord de l'eau, attirée par un irrésistible besoin de fraîcheur. Il y avait une ombre sur la berge opposée; une ombre grise qui l'attendait... L'autre berge, c'était la promesse d'un monde meilleur; l'espoir qu'une seconde chance existait et qu'il suffisait de la saisir. Stella s'était réveillée alors qu'elle posait le pied sur la terre ferme. L'ombre grise la touchait presque... Elle décida de descendre à la cuisine pour boire un verre de lait. Dans trois heures, Abel sortirait de son existence.


Elle poussa les volets. La lumière rose éclaboussa la pièce.

- Je vous ai réveillée, m' dame ?

Stella sursauta, le chercha dans la pénombre. Abel se balançait lentement dans le rocking-chair, un verre de lait entre les doigts.

- Vous êtes bien matinal ! répondit-elle en ravivant la braise du foyer. Mal dormi ?

- Pas beaucoup, en effet... la chaleur, sans doute. Et vous ?

- Comme vous ! La chaleur m'a empêchée de trouver le sommeil facilement.

Il but la dernière gorgée de lait en penchant la tête en arrière. Elle se retint pour ne pas embrasser son épaule nue, tellement proche d'elle et en même temps, tellement inaccessible.

- Je vais vous manquer, miss Lowie ?

- Evidemment ! C'est que... je me suis habituée à votre compagnie, Abel. Je me demande si je ne vais pas séquestrer tous les vagabonds qui passeront devant chez moi, dorénavant ?

Ils rirent ensemble mais pour Stella, le cœur n'y était plus.

- Vous allez me manquer aussi, m' dame ! Vous êtes une personne déconcertante mais très attachante... Vous avez su me faire confiance et je suis heureux d'avoir pu vous rencontrer.

- Arrêtons-nous là ou je vais me mettre à pleurer dans une seconde ! répliqua Stella en rabattant le pan de sa robe de chambre pour dissimuler le rythme saccadé de sa respiration. Puis elle ajouta qu'elle désirait lui offrir quelque chose avant son départ; un petit cadeau pour le remercier de tous les efforts qu'il avait fournis dans la ferme. Abel commença par refuser mais elle usa de tant de persuasion qu'il s'inclina. Quand elle revint quelques minutes plus tard, elle tenait un grand livre dont la couverture de cuir était usée. Abel prit l'ouvrage d'une main hésitante, le posa à plat sur ses genoux et resta silencieux, les yeux fixés sur le livre que l'aurore irradiait.

- C'est un de mes préférés, commenta Stella. « L'Irlande ou le voyage initiatique au pays des Celtes » de John Brenner... Vous connaissez ?

Il fit non d'un signe de tête.

- J'espère que vous le lirez avec autant de plaisir que moi ! Qui sait ? Vous allez peut-être tomber amoureux de l'Irlande, vous aussi ?

- Je suis très touché, m' dame... Merci, mais je...

- Oh Abel, s'il vous plaît, ne refusez pas ce présent ! Si un jour, vous vous rendez en Irlande, vous qui aimez tant voyager, eh bien, vous vous rappellerez qu'autrefois, une certaine Stella Lowie vous avait parlé de ce pays qu'elle chérissait tant.

- Merci encore, m' dame, insista Abel. Mais il y a un petit problème...

Elle fronça les sourcils, scruta son visage.

- Je... je ne sais pas lire, miss Lowie.

A SUIVRE...

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