12. Songe d'une nuit d'été

Depuis le début
                                    

— À jeudi alors, me chuchote-t-il à l'oreille avant de déposer un doux baiser sur ma joue, nouvelle zone érogène chez moi à n'en pas douter.

Complètement sonnée, j'ai conscience de lui avoir baragouiné un « à jeudi » d'une voix inanimée. Sentant encore la pression de ses lèvres contre ma peau, je pose ma main contre ma joue à défaut de me pincer pour me persuader que je n'ai pas rêvé. Ce n'est que lorsque le serveur fait tinter les verres en nettoyant notre table que je sors de ma torpeur. Ma petite voix intérieure, totalement hystérique, se met à hurler Nate Calvin vient de m'embrasser, Nate Calvin vient de m'embrasser ! en boucle. Et j'ai toutes les peines du monde à ne pas sautiller sur place ou à entamer ma petite danse de la victoire.

Une victoire que je suis loin de célébrer une fois seule dans ma chambre. Le sentiment d'euphorie que j'ai pu ressentir quelques instants a été vite remplacé par une panique sans précédent. L'envie de me fustiger des plus grosses insultes que je connaisse me démange. Pourquoi ai-je accepté ? Dans quoi ai-je encore réussi à me fourrer ? Ai-je la moindre idée de ce qu'un dîner avec le sexe opposé implique ? La simple idée que Nate puisse avoir envie de... euh... vouloir... avec moi... Aaargh ! je n'arrive même pas à conjuguer ces simples mots dans mon esprit tant ça me paraît loufoque. La simple idée que Nate puisse désirer une femme comme moi me semble aussi réaliste que l'existence du Père Noël. Je m'imagine déjà allongée sur la table du dîner avec le bel acteur au-dessus de moi, prêt à me dévorer tel un vampire en quête de sang. C'est un homme du monde et moi je suis... je suis la plus novice de toutes les novices de cette Terre. Alors, comment lui dire ? Comment lui avouer cette vérité inavouable ? Il va me rire au nez, c'est certain. Il va être répugné par ma personne et il ne voudra plus jamais me revoir... Le doute n'est plus permis, je suis dans un merdier sans nom.

Les quelques jours me séparant de la date fatidique sont passés bien trop vite à mon goût. Je passe chaque seconde de libre à imaginer mon dîner en compagnie de Nate si bien qu'à plusieurs reprises, j'ai été prise en flagrant délit de rêverie par mes élèves. L'euphorie et une peur paralysante se livrent bataille en moi, la peur paralysante finissant toujours par gagner.

J'ai mis sens dessus dessous la totalité de ma penderie dans l'ultime espoir de trouver la tenue magique qui fera complètement chavirer mon bel acteur... ce qui n'a réussi qu'à m'effarer au plus haut point quand j'ai constaté que mon placard manquait cruellement de vêtements féminins que sont robes et jupes en tout genre. J'ai passé une de mes pauses-déjeuner à shopper pour me dénicher une tenue qui aurait la capacité incroyable de flatter mes courbes un peu trop prononcées et répondre aux canons de la beauté actuels. À plusieurs reprises, je me suis surprise à prier qu'il m'appelle pour m'annoncer un imprévu de dernière minute qui nous obligerait à repousser voire annuler définitivement ce rendez-vous. Et quand je me rendis à l'évidence que ce coup de fil n'arriverait jamais, je me triturais alors les méninges pour trouver une excuse absolument bidon, mais crédible pour tout, absolument tout, décommander. Je me forçais en occultant pendant un temps limité ce rencard avec une star internationale.

Jeudi midi, je réussis un exploit quasi surnaturel en dégotant la robe dont la coupe droite flatte ma taille fine et la rondeur féminine de mes hanches. Je ne me sens pas pour autant à l'aise lorsque je la revêts quelques heures plus tard après avoir gâché une après-midi entière à me pomponner. D'une main fébrile, je déplisse les côtés de ma jupe. Je jette un coup d'œil à mes jambes, cette fois-ci épilées, prises dans des bas noirs. Je n'ai pas vraiment envie que Nate Calvin me prenne pour une de ces hippies des temps modernes engagées contre les dictats de la mode. Mon maquillage, contrairement à mes vêtements, est habituel. J'ai bataillé avec mon eye-liner pour réussir un tracé noir plutôt satisfaisant malgré le tremblement de mes doigts. J'ai agrémenté le tout de deux touches de fards à paupières pour créer un effet charbonneux qui, je l'espère, aura son petit effet. Il ne me reste plus que trente minutes à patienter avant que mon carrosse ne soit apprêté et je n'ai jamais autant songé à vomir. Mon cerveau tourne à mille à l'heure dans le seul et unique but de m'inventer un imprévu de dernière minute comme un accident, une maladie incurable ou un décès.

Mon souffle se coupe quand je perçois le vrombissement d'un moteur qui m'est désormais devenu familier. Et je sais qu'à présent je ne peux pas retourner en arrière. Mais rater ce rendez-vous sous un prétexte fallacieux serait un regret avec lequel j'aurai du mal à vivre pour le restant de ma vie.

Pour la première fois, un homme charmant, intelligent, gentil et beau comme un dieu s'intéresse à moi, au point de vouloir m'inviter à dîner, de s'intéresser à moi malgré toutes mes tares physiques ou mentales, malgré ma maladresse et cette propension que j'ai à provoquer des catastrophes improbables. Peut-être que ce rendez-vous me permettra de réellement savoir ce que monsieur Calvin me trouve. J'ai ce besoin irrationnel de trouver une justification à cette histoire.

Je suis bien trop vieille et terre à terre pour croire que je pourrais être en train de vivre une aventure à la Coup de Foudre à Notting Hill. Penser que je pourrais être l'héroïne d'une aventure aussi clichée, bien que cela soit tentant, serait faire preuve de beaucoup trop de stupidité. Quand la sonnette retentit, je descends lentement les escaliers, haut perchée sur mes talons et me dirige vers la porte d'entrée. Je suis chanceuse, Quino et Anja ont décidé de sortir prendre un verre dans un pub du coin et ne sont pas au courant de mon rencard imminent. Et alors que je pose ma main sur la poignée de la porte d'entrée, je suis sûre que je n'ai jamais été aussi stressée de toute ma vie. J'ai la sensation étrange qu'est en train de se jouer un moment clé de ma vie, ou peut-être c'est ce que j'aimerais croire. D'un geste décidé et assuré, à l'opposé de mon agitation interne, j'ouvre la porte en arborant un sourire confiant.

Devant moi se tient un Dieu vivant, une version de Nate Calvin encore plus renversante. Et je suis la première à admettre que jamais je n'aurai cru cela possible. Vêtu d'une chemise d'un blanc immaculé et d'un costume d'un noir profond, j'ai la sensation de me retrouver sur le tournage d'une publicité pour parfum de grande marque.

— Bonsoir Adelia, déclare Nate en dévoilant un véritable sourire digne d'une pub pour dentifrice, si lumineux qu'il pourrait éclairer une ville aussi grande que Tokyo. Vous êtes renversante ce soir.



Perfectly Imperfect (Imperfection #1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant