CHAPITRE 1

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Aux Fantômes qui peuplent nos vies,

Aux Vivants qui croient et espèrent.


Derek Clarence



                                                                                     PROLOGUE


Extrait d'un article du « Lone Oak Gazette », daté du 17 avril 1932, découvert en 1996 par Sharon Maclean dans les documents privés de son grand-père, Derek Clarence.

« Une habitante du village de Lone Oak, dans le secteur des Boston Mountains, portée disparue depuis six jours, vient d'être retrouvée, saine et sauve mais choquée, à plusieurs kilomètres de son domicile. Un vagabond, alerté par des gémissements provenant d'un fossé, a découvert la victime inconsciente et les vêtements déchirés. Agée d'une quarantaine d'années, celle-ci se trouvait dans un état de déshydratation avancée et est actuellement hospitalisée (...). Souffrant d'une amnésie traumatique que les médecins espèrent passagère, elle est dans l'incapacité d'expliquer les conditions de sa disparition et devrait être confiée dans les jours à venir, aux soins d'une amie. Pour le moment, le mystère reste entier tandis que l'enquête suit son cours (...) »






La ferme a été construite il y a bien longtemps par une famille de sodbusters, des« briseurs de mottes » venus de l'est. Ce sont les habitants du village qui les ont surnommés ainsi parce que ces malheureux ont construit la ferme avec les matériaux que leur offrait la prairie ; c'est-à-dire pas grand-chose et surtout trop peu d'arbres. Alors les sodbusters se sont rabattus sur la glèbe noire, récoltant les mottes au moment où l'herbe tendre poussait puis usant des racines comme d'un vulgaire mortier. Après avoir laissé celui-ci durcir au soleil, ils l'ont utilisé pour bâtir la ferme. Des années plus tard, les arrière-grands-parents paternels de Stella ont acheté la maison. Un peu plus riches que les propriétaires précédents, ils ont importé du bois en provenance du Canada pour construire une charpente solide avant de remplacer le toit de mottes gazonnées par un lit de tuiles grises. Enfin, ils ont agrandi la surface habitable, ouvrant le soddy - la pièce unique d'origine - sur plusieurs salles dont un vaste cellier. Un étage a été ajouté permettant l'aménagement de chambres. On a également prolongé l'habitation d'une terrasse et d'un appentis. Aujourd'hui, la maison ressemble à un jouet usé par le temps. Comme si quelque créature gigantesque l'avait jetée là, au milieu de la prairie. L'éclat d'antan n'existe plus : la cheminée a égaré son rebord de briques rouges et le toit plusieurs tuiles que les tempêtes hivernales ont emportées successivement. Une des fenêtres du rez-de-chaussée n'a plus son vantail. Quant à la clôture qui encerclait maison, grange et cour, elle s'est effondrée en partie et gît dans l'herbe grasse de la prairie. Le jardinet fleuri qui faisait la fierté de Dierdre Lowie n'existe plus. Disparus aussi les coqs, canards, oies ou dindons qui peuplaient la cour autrefois... Tout est vieux chez Stella. Les meubles ont perdu leur patine. Ils ont l'âge des générations qui passent et qui meurent. La maison - et tout ce qu'elle contient - semble porter en elle son début comme sa fin... une fin qui s'éternise mais que l'on devine plus proche, plus menaçante au fil des ans. Stella tente de retarder l'échéance en faisant semblant de croire qu'il reste encore un moyen d'amener un souffle neuf de vie ici.

WEST ROADWhere stories live. Discover now