Chapitre IV

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28 mai 1865, l'après-midi.

On ouvre violemment la porte de la cellule :

- 147WM, 073GS, c'est l'heure de votre sortie.

Je m'avance lentement vers la porte, mais l'infirmière me pousse brutalement dans le dos. Je serre des dents et les poings pour éviter de répliquer.

Tandis qu'elle nous guide à travers de longs couloirs, je vois et surtout j'entends des pensionnaires gémir ou crier. J'inspire et tente vainement d'ignorer tout cela. Comment peut-on laisser des humains, nos semblables, vivre ainsi sans s'en soucier ? La compassion ou la pitié est-elle une notion étrangère à ces personnes ?

Bientôt, nous arrivons dans une grande salle au murs blancs mais baignée de lumière. De grandes fenêtres pratiquent une ouvertures sur l'extérieur et des patients sont assis dans les nombreux fauteuils.

L'infirmière nous laisse là et s'en retourne à je ne sais quelle obscure occupation. Je vois Gigi également s'éloigner vers un groupe de jeunes femmes que j'ai cru apercevoir ce matin au réfectoire.

Mon regard balaie la pièce, je cherche une personne que je pourrais connaître, même si je sais d'avance qu'en ma qualité de nouvelle venue, je ne connais personne.

Mon regard se pose alors sur la jeune femme blonde qui m'a ce matin dit de terminer mon plat. Elle est seule, étendue sur un divan et regarde d'un air distrait le jardin dans lequel nous ne pouvons pénétrer.

Etant en dehors de Gigi la seule personne que je connais, je me dirige vers elle.

Arrivée à son côté, je me laisse tomber dans le fauteuil le plus proche.

- C'est n'est ce pas ? Malheureusement, nous nous pourrons plus jamais nous promener dans les allées de jardins romantiques et bien entretenus, me dit-elle. C'est un luxe que nous ne méritons pas. En vérité, pour eux, nous ne méritons rien.

Sa dernière phrase est dite avec une telle haine contenue et réprimée que j'en frissonne. Elle ne m'avait jusque là pas adressé de regard, alors elle tourne son visage délicat vers moi.

- C'est toi qui faisait ta fine bouche ce matin ? me lance-t-elle. Ce n'est pas si étonnant, en arrivant, elle font toutes comme toi avant de se rendre compte qu'il ne faut pas faire la princesse ici.

Malgré l'insulte qu'elle vient de me lancer, je choisis de rester calme. Mieux vaut ne pas s'énerver contre ce genre de personne il me semble. Et comme l'heure ne parait pas être aux salutations respectueuses, je décide de faire fi des convenances et de demander :

- Ca fait longtemps que tu es là ?

J'ai désormais qu'en notre qualité d'aliénée, la politesse et le vouvoiement ne sont plus utiles. Tout le monde se tutoies ici.

- 006EP. Je suis la sixième pensionnaire à être arrivée en enfer.

Elle se tourne à nouveau vers la fenêtre comme je n'étais plus là. Vexée en mon fort intérieur, je demande :

- Quel est ton prénom ?

Elle me souris et se retourne vers moi :

- Ici, on n'a plus de prénoms. Je pensais que tu l'avais compris.

- J'appelle ma camarade de chambre par son prénom, répondis-je pensant avoir trouvé un argument d'autorité.

Elle me rit ouvertement à la figure.

- Et qui est donc cette merveilleuse personne dont tu as le privilège de connaître le prénom ? lance-t-elle sarcastiquement.

Je serre à nouveau les dents, désireuse de ne pas céder à la colère.

L'île du Silenceحيث تعيش القصص. اكتشف الآن