L'Équilibre d'Evangeline

Chapitre 24

« Avant j'en avais des petites sur tout le corps, je suppose que toi aussi, poursuivit-il en replaçant le pansement. Et puis il y a celle-ci. Sublime n'est-ce pas ? »

Il me montra la large cicatrice traversant son visage en souriant.

« Est-ce que tu es mort ?

- Non, presque mais non. Et toi ?

- Ouai, quelques minutes. »

Je me laissai glisser contre le mur de brique et il m'imita.

« Quand on m'a retrouvé, j'avais le ventre complètement ouvert, lacéré. Apparemment, mes boyaux sortaient de mon corps, un truc bien gord. Du coup les secouristes ont d'abord cru que j'étais mort. Pour le visage, je me souviens avoir percuté le rétro' d'une bagnole avant de m'évanouir. Je pense que c'est à ça que je dois cette merveille. »

Tandis qu'il expliquait, il avait sorti un paquet de cigarettes de sa poche et me l'avait tendu. J'avais refusé d'un geste de la tête.

« J'avais un morceau de verre dans l'épaule, près du cœur. Et des centaines dans le dos. Le siège de devant s'était écrasé sur la moitié de mon corps et me bloquait. Je me souviens de tout. J'étais complètement consciente. J'ai même vu des gens mourir. »

Il hocha la tête en se l'allumant.

« J'ai l'impression d'entendre encore les cris. Ils sont dans ma tête, ils ne me quittent pas. Alors j'écoute la musique forte pour évite de penser. Je crois que je me suis réveillé à un moment et que j'ai crié à me déchirer les cordes vocales, mais je n'en ai aucun souvenir.

- Tout le monde a crié, assurai-je le regard vide. Tout le monde. J'ai leur voix moi aussi. »

Benjamin hocha la tête d'un air contri.

« Je m'appelle Ben. Enfin au complet ça fait Benjamin Hackles, mais c'est trop long. Alors appelle-moi Ben.

- Je sais comment tu t'appelles. Evangeline Shelton. »

Il sourit. Aucun de nous ne regardait l'autre, nos propres blessures suffisaient à nous rappeler l'accident, pas besoin de voir celles de l'autre.

« Eve. La première femme.

- Tu crois en Dieu ?

- Je croyais. Maintenant je ne crois plus en rien. A part qu'il n'y a rien après la mort.

- C'est faux. »

Il me dévisagea quelques secondes puis se remit à fixer les arbres loin devant, souriant et fumant toujours.

« Vraiment ?

- Tu tombes dans la mort comme tu tombes amoureux. Je n'ai pas vu la mort, mais je sais qu'elle existe.

- Je croyais que tu étais morte.

- J'ai vu les limbes.

- Les limbes ? sourit-il.

- Un monde aux marges de l'enfer.

- Je sais ce que c'est, ma famille est du genre catho' cul serré, je l'étais aussi avant, mais maintenant j'emmerde tout ça. Mais je connais toujours mes cours. C'est quoi ta propre interprétation ?

- Un monde entre la mort et la vie.

- C'est ce que t'as vu ? »