« C'est très simple. A partir de maintenant, tu en prends une, j'en prends une.

- Non Eva ne... »

Je glissai le fin rouleau entre mes lèvres et lui fis mon sourire le plus hypocrite. Il dût retrouver la Evangeline des évènements dans ces simples gestes puisque son visage se décomposa encore plus.

« C-c'était la première, balbutia-t-il.

- Et bien j'espère que c'était aussi la dernière. »

Sur ce je me retournai, la tête haute. Roy et Tammy me fixait avec des yeux ronds. Je retirai vivement la cigarette encore allumée de mes lèvres et la fixai quelques secondes, avant de la laisser tomber au sol et de l'écraser vivement du pied. Cet objet ressemblait trait pour trait à ma quatrième apocalypse.

Ma quatrième apocalypse était celle qui m'avait le plus marqué, ma préférée d'entre toute, la seule ou pendant une semaine, je ne m'étais plus sentie si seule. Juste le temps d'une semaine. Avec son arrivée. Je ne l'avais pas remarqué à mon arrivée au lycée, ni lors de nos premières heures de cours. A vrai dire, nous n'étions pas dans la même classe. Lorsque je l'ai rencontré pour la première, c'était derrière une maisonnette placée au bord du parking servant de placard au concierge ou de local technique général, je ne savais pas trop. J'avais l'habitude de me rendre ici au déjeuner, ne supportant pas l'idée de rester seule à une table ou que pire, on vienne me parler. Je me souviens que ce jour-là je portais ma tenue favorite pour scandaliser mes camarades de classe : un haut dos nu sans manche noir tenant grâce au morceau de tissu passant derrière mon cou, accompagné d'un éternel skinny noir -je ne portais que ça- et un gilet noir lui aussi me permettant de cacher mes plaies aux poignets que je laissai toujours tomber pour que mes cicatrices restent visibles aux yeux de tous. Je mangeais rarement, non pas que je sois devenue anorexique ou quelque chose comme ça, mais je n'avais pas fin aux heures où je suis censée manger et engloutissais de la nourriture pour trois entre les repas, dès que je le pouvais. Ce jour précis, j'écoutais toujours la même playlist déprimante qui était devenue pour moi un hymne à la douleur parlant d'idées toutes plus noires que les autres. Je détestais la compagnie des autres êtres humains qui ne comprenaient pas la raison de ma peine. Puis il était apparu avec nonchalance, comme s'il glissait lorsqu'il marchait. Pourtant, la lourde attèle englobant toute sa jambe droite devait le gêner énormément. Je ne lui avais jamais parlé avant, il était arrivé en début d'année, mais je le reconnus tout de suite. Benjamin Hackles. Il avait été l'un des blessés les plus graves de l'accident et reprenait les cours aujourd'hui même. Il ne restait donc plus que Milo en état critique à l'hôpital. Une large balafre traversait son visage de part en part. Sa main et sa jambe droite se retrouvaient serrées par des attèles. A première vue, aucune autre blessure n'était visible, mais j'étais l'exemple même que ça ne voulait rien dire.

« J'peux les voir ? »

Sa voix rauque et grave aurait figé n'importe qui, vous faisant retenir une larme de pitié, tant elle était douloureuse, mais je frémis à peine. J'avais tout de suite compris qu'il parlait de mes cicatrices, après tout elles avaient fait ravage dans tout le lycée. Je me levai en silence, laissai tomber mon gilet une fois dos à lui puis le remis et me plaçai face à lui au bout de quelques secondes.

« J'en ai aussi une dans le bas du ventre et au travers du thorax, mais elles sont chirurgicales celles-ci. »

Je croisai les bras.

« Et toi ? »

Ses lèvres s'étendirent en un rictus moqueur et il souleva son t-shirt. Un énorme pansement barrait tout son abdomen. Il arracha la moitié d'un geste sec en grognant légèrement. La cicatrice était énorme, on aurait presque dit que quelqu'un avait enfoncé son poing dans sa poitrine pour en retirer son cœur. On distinguait quelques traces anciennes, des plaies moins profondes sûrement.

L'Équilibre d'EvangelineWhere stories live. Discover now