Chapitre 9

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Le ciel est noir d'encre. Tout de même parsemé de nombreuses étoiles, il fait ressortir l'éclat de la lune. Celle-ci est pleine cette nuit. De grands cratères se dessinent à sa surface. Comment un astre peut-il renvoyer tant de beauté? Après tout ce n'est qu'un gros caillou illuminé par le soleil, un autre gros caillou. Notre monde est fait de cailloux. Belle conclusion, n'est-ce pas? Nous vivons sur une pierre qui elle même tourne autour d'une autre pierre qui, avec toutes les autres planètes forme la galaxie, soit un agglutination de roche. Si seulement tout était aussi simple. Mais c'est beaucoup plus complexe. La trajectoire des étoiles, leurs constellations, leur fabrication. Mais je dois laisser là mes cailloux. Je dois rejoindre Willow. Je dois rencontrer le faë. 

Je me glisse dans l'obscurité jusqu'à la bibliothèque. C'est notre lieu de rendez-vous, mais Willow n'a pas l'air d'être là. Je m'approche de l'entrée. Il fait humide et froid dehors. Je souffle sur mes doigts et une volute blanche s'échappe d'entre mes lèvres. Je me colle contre l'arbre de la bibliothèque, m'efforçant de trouver un reste de chaleur au creux de l'écorce. Les arbres se balancent mélancoliquement au-dessus de ma tête. Le bruissement des feuilles me berce. Le vent me caresse. Mais il s'intensifie d'un coup et me transperce. Quel sensation désagréable! Un instant plus tard, la douce brise est revenue. C'était quoi cette rafale de vent qui m'a traversée? Était-ce vraiment du vent? Ou peut être s'agissait-il d'un spectre? Je frissonne de tout mon corps en pensant à cette éventualité. Non, ce n'était pas un spectre! Pas ici! Les spectres se cachent dans la forêt et ne s'approchent jamais des elfes...Sauf quand ils sont...affamés. Je frissonnais de nouveau. Ma tentative pour me rassurer échoue lamentablement et je commence à devenir paranoïaque. Ce serait le moment parfait pour que Willow pointe le bout de son nez! Je n'aime pas être seule la nuit, en compagnie d'un...spectre...affamé.. Je déglutis et m'enfonce encore un peu plus dans le bois rassurant de l'arbre jusqu'à sentir l'écorce s'enfoncer au creux de ma colonne vertébrale. 

Je suis seule.

Il n'y a pas de spectre.

Willow va bientôt arriver.

Il n'y a pas de spectre.

Je murmure la dernière phrase à voix à peine audible. La lune éclaire faiblement les alentours. Je scrute le paysage à la recherche d'un mouvement, je m'attend presque à voir Willow emmêlée dans les lianes. Puis des bruits de pas parviennent de derrière moi. Ah, enfin, la voilà! Un peu plus et je me changeais en glaçon. Je me retourne pour lui faire face. 

Pas de Willow.

Un homme.

Grand. Beau. La mâchoire proprement dessinée. Des yeux perçants dans lesquelles danse une lueur de surprise et d'anxiété, mais pas de peur. Il caresse ma joue. Ses doigts sont rugueux, usés par le dur travail des champs.

-Alex!?

-Nayru. Comment vas-tu? s'exclame t'il en retirant sa main et affichant un sourire radieux. 

Il a perdu l'air déconcerté fiché sur son visage et opté pour un masque chaleureux. La lueur dans ses yeux ne brille plus que d'anxiété. 

-Joue pas à ça avec moi, dis-je en pointant un doigt accusateur sur sa poitrine. Qu'est ce que tu fais dehors à une heure pareille?

-Je pourrais te demander la même chose, fit-il. La lueur de ses yeux s'enflammant.

-Je..j'attends quelqu'un.

-Comment ça? Tu as déjà oublié tout ce qui c'est passé entre nous!? Tu m'as déjà rayé de ta vie comme une vulgaire aventure? Tu..

L'air de son visage tourne vers le dramatique. Mais je coupe cours à cette conversation.

-Ce qu'il s'est passé entre nous!? Tu te fous de moi! Il ne s'est absolument rien passé! 

La lueur de ses yeux se consume lentement.

-Tu as donc tout oublié, dit-il avec déception. Et ce regard, ce sourire? Ne voulait-il rien dire?

Il déraillait complètement. Je ne lui avait souris que par reconnaissance de m'avoir sauvé!

-Il évoquait simplement ma reconnaissance, je dis tranquillement.

La lueur de ses yeux s'éteignit. Je baisse les yeux. C'est quoi cette scène à l'eau de rose, moi qui le prenait pour un aventurier courageux. Que tentait-il de faire? Diversion? Je jette un œil aux alentours. Pas un geste. Une main calleuse m'attrape le menton, le lève et de douces lèvres se collent contre les miennes. 

Des crépitements s'installèrent dans mon estomac. J'appréciais la chaleur de son corps. Une demi-seconde plus tard, Alex était juché au sol. Je l'avais repoussé avec une telle force! J'en étais choquée. Pourquoi avait-il fait ça!? Quelque chose était en train de se déchirer en moi. La fin d'une amitié peut être. Ou tout simplement le choc. Il souriait. Sans doute pensait-il à une sorte de victoire intérieure. Ce serait la dernière.

-Qu'as tu fait!? Je porte mes doigts à mes lèvres. Oui, qu'avait-il fait?

-Je t'ai embrassé, ça ne s'est pas senti? lâcha-t-il moqueur.

Je suis en pleine confusion. Je... n'avais jamais considéré Alex comme un "amant" mais plutôt comme un ami, un aventurier, un héros, un frère. Je suis confuse et frigorifiée.

-Je ne veux plus te voir.. Pars.. Sors de ma tête.. 

Je me sens pathétique, le suppliant de s'en aller, le regard ancré au sol pour ne pas croiser le sien, tremblante. Mes bras s'enroulèrent tout seuls autour de mon corps. Je luttais pour ne pas me recroqueviller sur moi même et me balancer sur mes talons. Je l'entendis se lever.

-Je suis bon joueur et je n'abandonne jamais! Je suis très mauvais perdant, ajouta-t-il d'une voix suave.

Je lève les yeux vers cet homme mystérieux qui venait de perturber mon calme intérieur. La lueur de ses yeux danse de nouveau follement. Son regard se promène sur moi puis il sourit furtivement. Je croise son regard pour la dernière fois avant qu'il ne se retourne et parte. Je le regarde s'éloigner. Je ne peut pas croire qu'il l'ai fait. Je ne sais d'ailleurs pas comment réagir. Dois-je être choquée? Flattée?

Je ne débat pas la question plus longtemps, j'aperçois Willow du coin de l'œil qui s'avance lentement vers moi. Elle pose une main pleine de compassion sur mon épaule.  

-Ça va? On peut reporter l'infiltration de l'hôpital, si tu veux.. chuchota-t-elle avec douceur. 

Elle avait donc suivi la scène.

-Où étais-tu? je demande la voix tremblante.

-Je viens d'arriver. Je l'ai vu t'embrasser. Et comment tu l'as repoussé. Je n'ai pas osé intervenir. Je me suis caché sur le toit d'un cabanon, m'explique-t-elle.

Sa voix est terne comme si elle s'en voulait. Pour ce qui est de l'infiltration, on ne peux pas l'annuler.

-Je vais bien. Le faë nous attend. 

Ma voix était ferme et résolue. Elle contrastait avec ma posture, fragile être entouré de ses fins bras. 

-Tu es sûre? hésita mon amie. 

Elle m'inspecte, mes cheveux collés contre mon visage transpiré, mes yeux vitreux, mon teint livide. Malgré ça je réponds d'une voix encore plus forte.

-La nuit ne nous attendra pas éternellement.


SilvermooreWhere stories live. Discover now