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Ce jour-là, il faisait une chaleur insoutenable ce qui était bien étrange pour une région connue pour son mauvais temps ne nous épargnant pas même en été. Aujourd'hui, le soleil avait émergé plus vigoureux que jamais prêt à nous étouffer. Après avoir hydraté mes cheveux irrités et appliqué une huile à base d'aloe vera, j'en avais faits un bun avec un de mes larges élastiques rouges. Je le roulai deux fois pour convenablement plaquer mes cheveux et obtenir ainsi le volume le plus dense. Allongée sur le ventre dans mon lit, la tête au creux de mes paumes, je regardai le manteau gris de Drey que j'avais accroché sur le mur. Bon je devais avouer, je ne l'avais pas donné à Constance comme il m'avait dit de le faire. Sur le moment, ça ne m'était pas venu à l'esprit que j'avais le numéro de sa soeur. Je bondis pour le toucher. Sa texture était particulièrement douce et le matière, particulièrement lourde. A vrai dire, ce caban avait vraiment l'air cher. Je n'avais pas raconté à Constance mon altercation avec cet homme mais elle non plus, elle ne m'avait pas parlé de ce gars. La seule discussion que nous eûmes à ce sujet s'était soldée par un vif désaccord. Quelques jours après cette soirée, je m'étais enquis auprès d'elle d'une explication pour son comportement survolté. Elle m'avait envoyé balader décidée à ne parler que de celui qui avait apparemment attiré son attention. Je lui avais rappelé Léonard, le pauvre malheureux.

— Il a toujours voulu jouer au plus malin, ce petit lapin. Il a eu ce qu'il mérite, avait-elle conclu avec une grande satisfaction.

Je pensais souvent à ce qu'il m'avait dit à cette soirée mais ce n'était pas pour autant que j'allais remettre mes plans de vie en question. « Si je pouvais faire tout ce que je voulais » ? J'enfilai le manteau de Drey et mis les lunettes de soleil que ma soeur m'avaient offertes pour mon anniversaire. Je me regardai dans mon miroir à taille humaine avant d'enlever ce mauvais déguisement. Je n'ai plus dix ans. Malgré son grand enthousiasme, il avait lancé le mot juste : « barrières ». Avant même d'atteindre le mur, c'était à cela qu'on devait faire face. C'est comme cela que résolument je m'étais dit qu'on ne faisait pas toujours ce que l'on veut dans la vie et qu'on ne pouvait pas toujours faire ce qu'on le veut dans la vie. Parfois j'enviais ces gens qui énonçaient ce qu'ils voulaient devenir sans crainte comme s'il n'y avait ni limites ni entraves. Des fanfarons aux fanfaronnades attirantes. Tout ce que je ne pouvais être. Je me rappelai alors ce que ma professeure de français, le souffle coupé, m'avait demandé un jour après ma représentation scénique à l'époque — cette époque où l'on était encore noté pour interpréter des pièces en classe. Je ne pus lui révéler mes véritables sentiments, mes rêveries absurdes. J'avais pris un temps pour lui livrer la solution plus plausible dans mon esprit cartésien :

— Avocate, Madame.

Le temps me tenant la main, je me faisais une idée plus précise du parcours que je me devais de prendre pour parvenir à mon but. Mais pourquoi rêver petit ? J'entendais bien des camarades s'écrier ardemment qu'ils seraient présidents. Ah ! C'est peut-être pour la même raison qu'un effronté m'avait dit une fois en cours :

— Tu sais Malkia, tu as beau être la première de la classe quand on sera sur le marché du travail je gagnerai toujours plus que toi.

— Comme ça doit être fabuleux d'être un garçon, lui avais-je simplement rétorqué emplie de sarcasme.

Et blanc de surcroît, ajoutai-je aujourd'hui les années ayant passé. Vraiment, il y avait cet air et cet espace qui me manquaient, j'y repensais et j'étais amère. Cela avait d'étrange que les limites étaient implicites et que les véritables règles, officieuses, s'apprenaient les yeux clos à coup sournois de bâton. Mais osez vous en plaindre et l'on s'offusque que vous brisiez un tabou consensuel. Tout le monde le sait mais personne ne le reconnaît. Bercés dans une réalité angélique, se plaindre était une ribambelle de gros mots qui offensait les illusions partagées. L'embarras n'est jamais le carcan de celui qui a le pouvoir. La proie avait à s'excuser d'être proie. Que faire alors quand avant même d'entrevoir le plafond de verre, nous devions nous rendre compte que l'on se trouvait sur un sol de glace ?

Le Rêve de soie [ÉDITÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant