2

1.4K 100 1
                                    

Elle m'aura soûlé celle-là ! Je balançai mon portable sur le lit avec véhémence. Cette agitation n'était en rien due à la perte de cette fille mais à l'agacement dans lequel elle m'avait plongé. Tu vas où ? Avec qui ? Pour faire quoi ? Woh, faut ralentir. De toute façon, je m'en fichais d'elle. Elle ne m'apportait rien. Dès qu'elle ouvrait la bouche, c'était des problèmes. Les problèmes, je pouvais les supporter seulement et si seulement on apportait quelque chose sur la table. Clairement, ce n'était pas son cas. Je ne comptais pas le temps perdu seulement et si seulement, il s'agissait d'un judicieux investissement dont le retour certain serait fructueux. Et rebolote, ce n'était pas son cas. Je fixais le reflet dans le miroir et soupirai. Ce genre de soirée tombait toujours à pic et ne manquait jamais de m'aider. Emir décrochait toujours les bons plans. Je passai ma main dans mes cheveux pour les arranger, y mettre de l'or...

— DREEEY !

Un arrêt cardiaque me frôla de peu.

— Eh Wassia, dis-je d'une voix calme non moins teintée d'agacement, je te jure si tu ne baisses pas le volume je vais te faire creuser ta propre tombe.

— Yo, yo, change pas de sujet comme ça frérot.

Je la regardais s'agiter comme une puce dans ma chambre après le stop qu'elle m'avait lancé  majestueusement de la main. Je fis mine de réfléchir avant de me tourner à nouveau vers le miroir pour me reconcentrer sur mes cheveux.

— T'inquiète sis, j'ai pas oublié que le prochain lace c'est sur moi. Maintenant, bouge.

La demoiselle, persistente, s'interposa entre moi et mon reflet.

— Ah, ah. Fais le malin. Je suis sérieuse là, tu avais dit que tu allais m'amener à l'une de tes soirées huppées une fois que j'aurai dix-huit ans.

— ET que tu auras ton BAC mention bien. Dis-moi, ton BAC mention bien c'est comment ?

— Il va bien, c'est juste qu'il n'a pas voulu me rejoindre à Bora-Bora.

— Nan mais toi tu crois que je taffe pour que tu me ramènes un BAC sans mention.

— Vas-y, j'étais à 0,2 point du assez bien ! J'ai ouvert mes cahiers. Je les ai lus. J'ai bossé. 0,2 point ! Tu vas me le faire payer combien de temps encore ? En plus j'ai été acceptée dans la fac de droit qu'on voulait, non ? Non ? insistait-elle les yeux pétillants. Aller grand-frère ! hâtait-elle. Sieuteipleh, sieuteipleh, pour moi ta petite sœur chérie.

Je l'observais avec sa petite taille se tenant sur la pointe des pieds, les mains jointes, avec la larme à l'œil. Une vraie actrice. Mais je devais l'avouer, elle a fait de sacrés efforts ces dernières années au niveau scolaire. De fragile, elle était devenue médiocre. Ce n'était peut-être pas l'excellence que je cherchais mais c'était une médiocrité encourageante. On pouvait alors concilier pour dire qu'elle était d'une excellente médiocrité. Ma sœur, elle le méritait.

— Bon ok, mais mets un col roulé.

Ma sœur ne s'écria même pas pour célébrer sa victoire comme si elle savait déjà que j'allais céder.

— T'es fou ? Je vais rencontrer mon mari footballeur ce soir et tu crois que je vais l'avoir avec un simple col roulé ? Ah, ah ! l'entendais-je ricaner du couloir.

Une vraie tarée elle, et je me faisais avoir à tous les coups. Encore étant jeunes, il lui suffisait d'ouvrir la bouche et d'éclater en sanglots pour que l'on se plie à ses quatre volontés. Notre père qu'elle adorait tant ne rentrait jamais sans un cadeau pour ses beaux yeux bien qu'on croulait sous les dettes. Son petit commerce de produits exotiques était, en effet, plus coûteux que fructueux. Ses choix étaient aussi calamiteux qu'irréfléchis en tout cas, c'est comme cela que je les percevais. Toujours à vivre au-dessus de ses moyens et nous étions les premiers à payer ses excès. Ses accès. Je me mordis la lèvre inférieure avec force en plissant les yeux. Pourquoi ressasser ? Cela faisait bien longtemps que j'avais enterré cette histoire. Ce n'était pas lui qui m'aidait à avancer. Pas maintenant, plus jamais. Je captais mon regard dans la glace et m'attelais à organiser mes cheveux.

Une heure plus tard, j'attends la miss sur le canapé. Elle sortit de sa chambre dans un grand fracas, j'entendis alors des pas d'éléphant se rapprocher. J'ai halluciné.

— T'as cru que c'était carnaval, Nicki Minaj ?

— Tu sais très bien que c'est un compliment pour moi, Drey. Et je suis light en plus là, laisse-moi.

J'étais tellement fatigué de la détailler que je secouai simplement la tête en attrapant mon manteau gris.

— Je vais voir maman et on y va. Par contre, là-bas on se connaît pas. Tu dis que t'es ma sœur, patate dans ta tête.

— Bah heureusement que je vais faire du droit pour te sortir de prison avec ce tempérament-là. Pff !

Je la laissai bouder dans notre salon à la menue surface pendant que j'appelais Idris. Le petit bonhomme sortit de sa chambre somnolant. Le temps que ce fainéant gâchait à dormir ne manquait jamais de me faire halluciner.

— Eh, au lieu de dormir ouvre un livre nan ?

— Vas-y, commence pas à faire le daron. Tu veux quoi ?

A ce moment précis, j'applaudis mon sang-froid. J'avais eu de l'entraînement ces dernières années. Je sortis un billet de vingt et un de ces vieux portables en forme de brique. Je les lui tendis comme on répond à une quête :

— Commande-toi une pizza et s'il y a quelque chose avec maman, tu m'appelles. Ok ?

— Hum, dit-il en s'engloutissant dans l'obscurité de sa chambre.

Je restai un instant devant sa porte dont la peinture blanche craquelante était usée. Vraiment, cet enfant.

Je pénétrai dans la pièce où ma mère se trouvait. Allongée dans son lit, les draps lui tenaient chaud alors qu'elle était assoupie. Je pris le temps de la contempler. La lumière qui pénétrait dans la chambre par la porte ouverte me permit de discerner les traits que je lui connaissais si bien. Ils étaient pourtant défigurés par la crispation palpable de son visage. Elle soufflait lourdement comme une locomotive qui, ayant du mal à démarrer, restait en veille sur le quai. Des sons quasi imperceptibles traversaient sa mâchoire encore balafrée. Sa chevelure se débattait sur le haut de son crâne. Ses joues creuses gonflaient et se dégonflaient. A la vue de ce triste tableau, je regrettais de partir mais je devais partir. Je me rapprochais doucement pour ne pas la tirer d'un sommeil que je lui savais aussi fragile que nécessaireJe l'embrassai sur le front et m'envolai.

Le Rêve de soie [ÉDITÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant