24 # Quand tu veux te faire beau mais que t'es polio

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Cela peut paraître particulièrement ironique de dire ça ces temps-ci, mais nous sommes dans la période de l'année où les cocktails en terrasse prolifèrent et où les nuits festives fleurissent. Célibataire sur son trône de fer à quatre roues (si seulement cela pouvait être Sansa...), je me dois de me pomponner quand je sors, au cas où. Comme dirait Godefroy le Hardi, je « sors mes atours de festoie pour faire honneur à ma belle ». Mais bien sûr, quand on n'est pas fichu de ne serait-ce que tendre l'index bien droit (syndrome des doigts désossés), cela peut relever de l'exploit...

Quotidiennement, comme tout être qui tient un minimum à son hygiène, je prends une douche. Bon certes, cela peut m'arriver de sauter un jour si je n'ai pas prévu de sortir et s'il fait particulièrement froid, un peu comme une nana aurait la flemme de s'épiler les jambes en plein hiver alors qu'elle se prépare un week-end pyjama devant Desperates Housewives. Admettez-le, on l'a tous fait, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Bref, là n'est pas le sujet, étant donné que je ne m'étendrai pas sur comment je prends une douche, car il n'y a rien de particulier là-dedans : un siège dans ma cabine pour m'asseoir, ainsi que l'impossibilité de mettre moi-même mes chaussettes (ce qui m'oblige soit à rester pied nu la plupart du temps, soit à faire concorder l'heure de ma douche avec la venue de quelqu'un, auxiliaire de vie, ami, voisin... qui pourra m'aider dans cette ô combien périlleuse manœuvre Philippe). Commençons le déroulement des opérations au moment de l'habillage.

Vous allez rapidement comprendre que l'essentiel de mes problèmes vient de mes doigts. En effet, ces dix petits bâtards sont d'une faiblesse sans nom. Pour tout ce qui relève de faire quelque chose avec le bout des doigts, c'est comme si j'avais des fougères à la place des phalanges. Particulièrement au niveau des index. Je vais essayer de schématiser pour que vous imaginiez bien les choses grâce à deux exemples d'actions qui utilisent mes doigts différemment. Premier exemple, me branler : aucun problème à ce niveau-là, puisqu'une fois mon sexe turgescent enserré, c'est principalement le poignet qui travaille. Deuxième exemple, remonter ma braguette : il s'agit là de tenir entre mon pouce et mon index un tout petit bout de métal (rien à voir avec le bout précédent) et de le remonter, mais cette action est tout simplement quasi impossible à réaliser. Pour la braguette, il faut rivaliser de créativité, ce qui m'a amené à utiliser un fil à faire passer, fil que je tire de la force de ma main entière et non seulement de deux pauvres doigts dans une position contraignante.

Nous en sommes donc à l'habillage. Caleçon puis pantalon enfilés, braguette remontée comme expliqué précédemment, chaussettes ignorées, c'est au tour de la chemise. Ici, le problème est le boutonnage (qui a pensé à l'acné ?) : je suis incapable de mettre mes boutons. Pourtant, il va bien falloir que je trouve une solution, peut-être même une solution finale (oui c'est facile je sais, mais c'est toujours tentant), car je ne peux décemment pas esquiver la chose en arborant uniquement des T-shirts ou des pulls. Si la chemise est déjà boutonnée, je peux tenter de l'enfiler un peu comme j'enfilerais ta petite sœur, c'est-à-dire avec un risque plus ou moins élevé de déchirer un tissu. Sinon, j'abandonne. Peut-être que dans le tiroir à fringues je trouverai mon seul exemplaire de chemise à boutons pression, qui n'est pas impossible à mettre mais qui n'est pas simple non plus.

Me voilà revêtu de mes plus beaux atours, il est temps de passer au coiffage. Rappelez-vous de mes index : je ne peux pas les tendres. Ce qui est vraiment très emmerdant pour disperser du gel dans les cheveux. Et oui, visualisez la forme que prend votre main à ce moment-là. Un râteau, ou une fourche, voilà la posture que doivent prendre vos doigts pour harmoniser cette masse capillaire informe et en faire quelque chose de présentable. Se rajoute au syndrome des doigts désossés le fait que je ne peux pas lever les bras au-dessus de ma tête, encore une fois par manque de force musculaire. Comment faire ? La solution peut paraître ridicule, mais elle est au moins efficace. Assis sur mon fauteuil, ma poitrine est à la hauteur du lavabo. Plutôt que de faire bouger mes mains sur ma tête, je vais faire bouger ma tête sur mes mains : je pose mes coudes sur le rebord, tend les avant-bras vers le haut, les doigts gelifiés à l'intérieur comme à l'extérieur, et je frotte mon crâne du bout des doigts jusqu'à la paume. On dirait presque que je me force à faire une fellation...

Maintenant que j'y pense, j'ai omis de mentionner comment je me mets du déo. Pour tout ce qui est spray, c'est impossible pour moi d'appuyer sur le déclencheur avec le doigt. Je n'ai pas la force nécessaire. Dit comme ça, ça suggère qu'il faut une puissance colossale pour y parvenir, ce qui doit vous paraître risible, mais sachez que pour moi, c'est réellement une immense difficulté. Ceci dit, encore une fois, cela pousse à la créativité. Si je ne peux pas le faire de la façon normale, je le ferai à ma façon : j'appuie ma paume sur le déclencheur et coince le cul du spray sur mon autre paume, et je compresse en dirigeant le jet vers mon aisselle ouverte. J'ai la forme d'un triangle illuminati. C'est un complot de mon déo.

Il en va de même pour le parfum. Figurez-vous que les parfumeurs rechignent de plus en plus à fournir des flacons « nus », c'est-à-dire sans diffuseur, sans mécanisme sur lequel un doigt doit appuyer. Alors que sans ce mécanisme, je n'aurais eu qu'à verser quelques gouttes de liquide odorant dans mes mains et de me les passer sur la gueule, je suis là aussi obligé de trouver un moyen peu orthodoxe pour m'asperger. Ma solution ? C'est un petit peu comme avec le déo, mais en encore plus étrange vu de l'extérieur : puisque je ne peux pas appuyer avec mon doigt, je décide de pousser la bouteille sous mon menton avec une main plusieurs fois, pour que le parfum soit diffusé sur ma gorge. Évidemment, puisque j'utilise mon menton, je ne peux que parfumer une seule zone. Du coup, j'arrose à mort, et ensuite, j'étale tout ça avec les mains, mais comme un chat qui se lèche les pattes puis se les frotte sur le museau pour se nettoyer. Je ne sais pas si la ressemblance avec le chat donne un côté mignon à ma gestuelle, mais en tout cas, cette manière n'en demeure pas moins efficace.

D'ailleurs, j'aimerais bien ne plus jamais avoir à utiliser de spray, car c'est une habitude que j'ai prise de ne pas m'en servir dans Resident Evil, pour avoir le rang S. La référence aux jeux vidéo, c'est fait, poursuivons.  

Ça y est, c'est fini, on a plus rien à faire dans la salle de bain ! Arrive l'étape finale, la plus ardue car la plus aléatoire : il faut trouver quelqu'un pour me mettre mes chaussures (et mes chaussettes)

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Ça y est, c'est fini, on a plus rien à faire dans la salle de bain ! Arrive l'étape finale, la plus ardue car la plus aléatoire : il faut trouver quelqu'un pour me mettre mes chaussures (et mes chaussettes). Pourquoi est-ce si difficile pour moi de le faire seul ? Depuis une intervention chirurgicale durant mon adolescence, pour faire simple, je ne peux plus actionner mes chevilles, ce qui fait qu'enfiler chaussettes et chaussures est vraiment très compliqué. Lorsque j'ai prévu à l'avance de sortir, comme je l'ai déjà dit, je m'arrange pour être sûr que quelqu'un passe chez moi pour m'aider : par exemple, trois fois par semaine mon auxiliaire de vie vient, ou alors, en général quand je sors, je suis toujours accompagné d'amis, amis qui n'en seraient pas ce s'ils ne voulaient pas m'aider (ou alors ce seraient des gros fils de putes). Mais il arrive parfois qu'un plan se monte à l'improviste, ou encore que je propose de moi-même que l'on se rejoigne directement en ville et pas chez moi, merci le fauteuil électrique ! Le seul inconvénient de ces cas de figures est que je dois trouver quelqu'un pour m'aider sans que cela soit prévu au préalable. Heureusement, il y a Paulette, une très sympathique octogénaire qui a un appartement attenant au mien. Si elle n'est pas là, peut-être que Jen est là, mais comme elle sort beaucoup, rien n'est moins sûr. Les autres voisins, je ne suis pas assez proche d'eux pour leur demander ce genre de service, et fort heureusement, il y a toujours eu soit Paulette soit Jen pour m'aider. Et puis le plus souvent, je ne sors pas à l'improviste.

Maintenant, l'été approchant et la chaleur aussi, je n'hésite pas à sortir pieds nus pour exhiber au monde mes vieux petons rabougris ainsi que les longues cicatrices brillantes qui les parcourent. Je suis un handipster qui s'assume !

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