3 # Fast and Furious : Wheelchair Drift

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Bonjour à vous, chers amis infirmes !

L'histoire que je vais vous raconter aujourd'hui est arrivée il y a environ 15 ans. Vous allez me dire « oh, ça date ! », ce à quoi je vous répondrai « old but gold ». Pour être encore plus précis, cette anecdote, je n'en ai pas été l'acteur mais plutôt le témoin. Oulala, ça fait beaucoup de changements... laissez-moi recontextualiser tout ça.

Au mois de novembre 2001, alors que je venais d'entrer au lycée, j'ai subi une intervention chirurgicale au pied gauche. Sans entrer dans les détails, c'était une opération très lourde qui impliquait un séjour dans un centre de rééducation intensive (que nous raccourcirons par CRI) pendant quatre mois. C'est durant ce laps de temps que j'ai pu faire la connaissance de nombreux handicapés tous aussi différents les uns que les autres, et pour la grande majorité, touchés bien plus lourdement que je ne l'étais. Cela m'a d'ailleurs fait relativiser énormément de choses, notamment sur ma condition physique et sur les concepts de chance et de malchance.

Avant tout, il y a une chose importante à préciser : j'avais énormément peur d'aller dans ce CRI, car alors que j'étais moi-même handicapé, j'avais une très mauvaise opinion de mes camarades aux pathologies bien souvent beaucoup plus contraignantes. À l'époque, je marchais encore sur mes deux jambes (bien que je boitais), et je me considérais comme étant très différent d'un mec en fauteuil électrique. J'étais simplement plus chanceux. Mais là où j'avais peur, c'est que je me disais que tous ces gens qui avaient d'énormes contraintes physiques ou matérielles seraient forcément ennuyeux à mourir et probablement dépressifs et malheureux. Si ce fut le cas pour certains, c'était loin de l'être pour la majorité. Et tant mieux, car cela a donné lieu à de superbes histoires, comme celle que je vais vous narrer maintenant que j'ai posé le cadre...

Nous sommes donc à la fin du mois de novembre 2001. J'ai le pied gauche dans le plâtre et l'interdiction absolue de m'appuyer dessus pour marcher, alors je suis cantonné à me déplacer avec un fauteuil manuel. Ma pathologie touche tous les muscles de mon corps, du coup mes bras ont du mal à me pousser sur ce bolide d'infirme. Mais bon, en aucun cas je n'ose me plaindre car la quasi-totalité de mes camarades du CRI sont dans des états bien plus invalidants : maladies de Charcot-Marie, tétraplégiques, graves accidentés de la route et j'en passe... c'est durant cette période que j'ai compris tout le sens de l'expression « au royaume des aveugles, le borgne est roi ». D'ailleurs, je suis souvent sollicité pour aider untel ou untel, par exemple pour allumer la télé fixée au mur (trop haut pour des gens constamment assis, mais à quoi pensent ceux qui les installent ?), ou encore tout simplement pour enfiler une chaussette. À ceux qui se le demandent : non, je n'ai jamais aidé une de mes camarades à enfiler ses sous-vêtements, ni à les enlever. Même si pour Emmanuelle j'aurais bien... enfin bref, passons !

L'ensemble des patients du CRI est constitué d'enfants ou d'adolescents, et nous suivons tous des cours, comme dans une école normale mais avec des interruptions médicales pour certains élèves. Le matin est réservé à la rééducation (kinésithérapie, balnéothérapie, etc) tandis que l'après-midi est voué à l'enseignement. À partir de 18 heures, c'est la libération pour tous, jusqu'au « couvre-feu de 22 heures ». La nuit, nous sommes tous au lit. Du moins, officiellement...

Comme dans toute communauté encadrée par des règles strictes, une organisation souterraine s'est établie (en tout cas elle existait déjà lorsque je suis arrivé) et donne lieu à des activités risquées (celui ou celle qui se fait attraper par le personnel de nuit peut être sûr de gagner une punition sous forme de retenue, et d'autres choses dans le genre dont on se passe bien quand on est ado), activités néanmoins vitales pour des jeunes rebelles assoiffés d'originalité et d'aventures.

La plupart du temps, nous ne faisons que nous réunir dans les chambres des autres, des chambres clés : il y a celles dotées d'un balcon essentiel aux fumeurs, celles des détenteurs de consoles de jeux vidéo... mais parfois, à la faveur d'une pulsion d'adrénaline, un événement particulier s'organise : en cet après-midi de fin novembre, la rumeur roule de fauteuil en fauteuil sur l'organisation d'une compétition la nuit même. Des détails ? Aucun. Des partants ? Beaucoup.

Confessions InfirmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant