Chapitre 4 - Désespoir, Bar et Diabolo-plutonium

38 5 4
                                    




En tant que souverain incontestable de l'Olhem, Sareth avait été responsable de la mise à mort d'un bon nombre de personnes, mais il n'avait jamais réellement tué un Olehmite de ses propres mains. Déambulant dans les rues étroites d'une ville inconnue, il aurait cru ressentir plus de remords après avoir mis fin aux jours d'une innocente, bien qu'exaspérante, créature. Au lieu de ça, il ne ressentait qu'une importante nostalgie pour son monde natal.

Il est une loi des plus curieuses dans l'univers voulant que chaque créature mâle soumise au désespoir finisse par croiser la douce et chaleureuse lueur émanant d'un bar enfumé. Sareth étant précisément dans cet état d'esprit, il finit par franchir le seuil du seul type d'établissement qui volait plus de clients aux psychiatres que le suicide. Les bars représentent des endroits de fête et de convivialité, c'est pourquoi ils attirent tant de personnes déprimées. Pourtant, celui dans lequel pénétra Sareth était glauque : pas bien grand, une faible lumière éclairait la salle, de la poussière recouvrait les tables et le sol. Lorsqu'il avança, une vingtaine d'yeux appartenant à moins de huit clients le dévisagea, avant de reprendre leur contemplation béate du liquide se trouvant sous leur nez.

— Qu'est-ce que je vous sers ? demanda le patron, une créature violette à six tentacules, en train de nettoyer des verres derrière son comptoir. Venant juste de débarquer sur la planète, Sareth ne sut pas quoi répondre.

— Euh... Je prendrai un... diabolo-plutonium.

Le nom du breuvage fit naître le respect dans le regard des autres clients. Une créature au fond de la salle s'exclama même :

— Ça, c'est un gars qui n'a pas froid aux yeux ! C'est bien mon garçon, fais voir à ces nouilles de quel bois tu te chauffes !

Sareth se demandait s'il avait bien fait de choisir ce type de breuvage, mais en tant que roi et représentant de l'Olhem, à qui il fallait rendre sa vraie grandeur, il ne pouvait plus reculer. Il se rassura en pensant qu'après tout, s'ils en vendaient, c'était que ça ne devait pas être bien méchant...

C'est sur ce genre de considérations intuitives et totalement erronées que la majeure partie des malentendus dans l'univers naît. Inutile de préciser que le diabolo-plutonium n'est pas une boisson ordinaire, et qu'en général seuls les géants de Xersix sont habilités à en boire sans trop subir d'hémorragies internes. Cependant, aucun Olehmite n'ayant jamais bu une telle boisson jusqu'à aujourd'hui, il se pouvait que ses effets soient différents. Certains prétendent que, parfois, le breuvage se montre plus clément en ne court-circuitant que momentanément la capacité du buveur à distinguer l'espace tridimensionnel des autres dimensions. Avant, bien évidemment, de lui faire subir un broyage de cerveau digne des plus atroces tortures médiévales.

— D'où est-ce que tu viens, étranger ? lui demanda le barman.

— De l'Olhem.

— Jamais entendu parler.

L'ignorance du barman pour le monde de Sareth, qui représentait tout ce en quoi il croyait, redonna du courage au roi à qui l'on venait de présenter un liquide d'une couleur dorée et fort alléchante. Sareth porta le verre à sa bouche. Lorsque la boisson pénétra à l'intérieur, ce fut sa langue qui se révulsa en premier. Prise de crampes et d'étourdissements, elle n'eut pas le temps d'informer l'œsophage qui déjà, se contractait par violents spasmes transversaux. Ensuite, la chose atteignit directement son lobe occipital, lui brouillant momentanément la vision, avant que son cerveau ne semble imploser dans un bruit bigbanguesque. L'Olehmite resta immobile pendant plusieurs minutes, les yeux tournés à l'intérieur, avant de reprendre une gorgée. Cette fois-ci, il réussit à sentir son estomac se contorsionner comme pour mieux fuir par l'une ou l'autre de ses deux extrémités. Il répéta ce geste trois fois avant que le verre ne soit vide, sous les yeux incrédules du barman. À la gauche de Sareth se trouvait un être à la morphologie humanoïde, mais à la peau jaune nacrée, devant lequel se trouvait une dizaine de verres contenant un fond du même liquide doré. Le regard de l'homme aux cheveux blond était vide, et de sa bouche sortait un très fin filet de salive, indiquant probablement un degré avancé de « légumisation ».

Le Tour de l'Univers en 10-43 seconde (Le Sens de l'Univers, tome 1) - extraitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant