La légende des deux royaumes [TERMINÉ]

Chapitre 2 - Partie 2

Grand'ma Nora eut une quinte de toux et mit longtemps à retrouver son souffle. Océane lui releva la tête et lui donna à boire une fois qu'elle fut calmée avant de reprendre son récit.

- On dit aussi que les deux sœurs avaient hérité des pouvoirs de leur mère. Lyssa était le réceptacle d'un fragment de Soleil et Ninnië d'un fragment de Lune. Elles étaient complémentaires et ne pouvaient exister l'une sans l'autre. Pourtant, elles s'étaient séparées à la suite de leurs mariages et quand Lyssa comprit qu'elle n'avait aucune chance de vaincre l'époux de sa sœur, elle se sacrifia. Elle mourut en transmettant ses pouvoirs à sa sœur et lui fit promettre, sur son lit de mort, de détruire son époux et de rendre la liberté à son peuple. Folle de chagrin d'avoir perdu sa jumelle, Ninnië fit déferler en elle un pouvoir immense et réduisit à néant son époux. Mais cela lui couta également la vie. Tandis qu'elle agonisait, elle proposa plusieurs choix au peuple de sa sœur. Certains décidèrent de partir sur Osembrun pour se construire une nouvelle vie. D'autres restèrent sur notre continent, Lumlunaï, mais voulurent vivre cachés. Ils s'exilèrent donc à Somgysaï dans la Forêt des Songes, on dit même que Ninnië elle-même a enchanté les bois pour que personne ne les trouve s'il n'en est pas digne. Enfin, certaines restèrent sur les Plaines pour continuer leur vie d'avant et d'autres tournèrent le dos au choix et partirent s'installer en Teralybr ou ils vécurent loin de tout dans les marais, finit d'énoncer Océane.

- C'est bien, balbutia Nora. A une exception près. Notre continent et Osembrun n'en formait qu'un seul et unique. C'est Ninnië qui les sépara, suite à la volonté des exilés. C'est ce qui lui prit ses dernières forces. Avant de mourir, elle eut juste le temps de transmettre ses pouvoirs à sa fille et à sa nièce, qui les transmirent de mère en fille jusqu'à aujourd'hui. Sais-tu comment elles faisaient ?

Océane secoua la tête en signe de négation. C'était la première fois qu'elle entendait cette partie de l'histoire.

- Celle qui doit hériter des pouvoirs prend les mains de la personne mourante, reprit Nora. Ils ne peuvent se transmettre qu'ainsi. Chacune doit ouvrir son esprit et l'échange sera alors fait. Comprends-tu pourquoi je te raconte tout cela ?

La jeune femme muette, secoua la tête négativement. Elle en saisissait le sens, mais sa raison la poussait à réfuter cette idée, cependant, elle avait l'intime conviction au fond d'elle-même que tout ceci était vrai.

- Je crois que si, tu le sais, fit la vieille femme tendrement.

- Je refuse, affirma Océane, les yeux remplis de larmes.

- Je te reconnais tellement, ma fille, pourtant, tu sais que tu le feras.

- Si je m'exécute, cela signifie ta mort. Je ne peux l'accepter, expliqua Océane en pleurs.

- Je suis déjà sur l'autre rive, c'est l'unique chose qui me rattache ici. Laisse une mourante partir en paix. Donne-moi tes mains.

Océane ne put refuser. On ne repousse pas les dernières volontés de l'être qui nous est le plus cher, même si la raison nous souffle que c'est absurde, impossible. Si cela aidait Nora à partir en paix, alors elle ferait tout ce qu'elle lui demandait. Elle s'exécuta en sanglotant, prit les mains de sa grand-mère dans les siennes et s'approcha si près d'elle que leurs visages se touchaient presque. Grand'ma Nora avait également les yeux pleins de larmes. Elles échangèrent un long regard, plein d'amour et de reconnaissance et finalement, Océane posa son front contre celui de la vieille femme.

Ce fut comme si une tempête les happait toutes les deux dans un gigantesque maelstrom d'émotions. Tout tournait autour d'elles sans qu'elles ne s'en rendent compte. Elles étaient comme connectées. D'esprit à esprit. Des images affluaient dans le cerveau d'Océane, réveillant des bribes de vie de Nora et remontant encore plus loin, comme si une mémoire de plusieurs siècles se déversait en elle, abandonnant un réceptacle et en remplissant un autre. Elle vivait les scènes de toutes les Filles de la Lune avant elle.

Une femme met au monde deux filles. Un homme pleure sur sa tombe. Deux fillettes grandissent côte à côte. Une sœur part. L'autre pleure. C'est à son tour. Elle ne veut pas. Elle hurle ; refuse ; cède ; pleure. Elle hait. Aime. Tue. Meurt. L'histoire avance encore et encore. Se répète. Nora est là. Elle est heureuse. Elle aime. Pleure. Refuse. Accepte. Elle se voit. Elle voit William. Il est blessé. Elle voit sa fille. Elle pleure. Se marie. Ne veut pas. Elle veut pleurer. Ne peut pas. Elle hurle. Hait. Aime. Tue. Meurt. Elle est Ninnië, elle est Inwë, elle est un tout. Elle voit sa fille. Elle est heureuse. Aime. Les Deux sont réunis. Lumière et Obscurité ne font qu'un. A jamais. L'histoire recommence. Encore et encore.

Le tourbillon ralentit et la tempête s'arrêta. Cela n'avait duré que quelques secondes. Océane et Nora se séparèrent, reprenant leurs esprits. La jeune femme resta abasourdie un long moment. Ce fut la voix de sa grand-mère qui la ramena à la réalité.

- Tu viens de voir notre passé et notre futur. Je suis sincèrement désolée, Inwë, dit-elle d'une voix chevrotante. Je t'aime ma fille.

- Moi aussi je t'aime, Grand'ma, ajouta Océane en la serrant dans ses bras.

La vieille femme lui lança un dernier sourire avant de s'éteindre. Son cœur s'arrêta et la vie la quitta. Océane se remit à pleurer. Elle lui ferma les yeux et l'allongea délicatement sur sa couche. Elle se roula en boule aux pieds du lit et pleura. Elle était autant bouleversée par la mort de sa grand-mère que par les images qu'elle venait de voir et qui pourtant s'estompaient de sa mémoire.

Elle resta ainsi, laissant les larmes rouler le long de ses joues jusqu'à ce que quelqu'un arrive. Ce fut Géron qui entra le premier. Dès qu'il la vit, il se précipita sur elle et la prit dans ses bras la berçant jusqu'à ce qu'elle se calme. Océane resta cependant prostrée dans son coin jusqu'à ce que sa famille revienne et la conduise dehors. La nuit était tombée, pourtant la Lune éclairait tout aux alentours. Elle était pleine, haute, majestueuse, comme un dernier hommage à la défunte. La plupart des gens du village étaient là. Nora les avaient tous guéris ou soignés à un moment ou à un autre de leur vie. Ils l'aimaient tous et voulaient lui dire un dernier au-revoir. Le bûcher funéraire était prêt et ses frères avaient conduits la vieille femme en sa dernière demeure. Elle avait voulu que ses cendres soient dispersées sur les Plaines sans tarder après son décès. Sa dernière volonté avait été respectée. On tendit à Océane et à chaque membre de sa famille une torche pour allumer le bûcher. Ils l'enflammèrent tous de concert et restèrent devant jusqu'à ce que les flammes deviennent des braises et que le jour ne soit pas loin. Ensuite, son frère Allan la prit par la main et la ramena à l'intérieur. Il la coucha sur son lit et veilla sur elle jusqu'à ce qu'elle ferme les yeux et s'endorme.