Chapitre 6

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Inwë avançait, chancelante. Elle s'était préparée à toutes les possibilités, sauf celle de se retrouver face à sa fille. C'était un véritable choc, un coup porté droit au cœur, qu'aucune armure ou carapace ne pouvait arrêter. C'était une flèche ébranlant tout son être.

La jeune femme fuyait cette réalité, cette sensation, s'éloignant le plus possible de son enfant le temps de reprendre pied. "Reprendre pied", songea-t-elle en riant de mépris, quelle lâcheté de sa part, encore une fois. Elle avait fui parce qu'elle ne pouvait tout simplement pas affronter le regard de sa fille qu'elle avait abandonnée. Inwë s'était jurée de tenir son enfant à l'écart le temps de vaincre Finwë, mais qu'avait-elle fait durant ces dernières années ?  Rien. Elle s'était laissée aller dans sa cage dorée, trop focalisée sur elle-même pour penser au bien-être de son enfant. Cette pensait lui oppressait la poitrine encore plus que de découvrir cette charmante fillette, son enfant, qui avait les yeux de son père.

Inwë secoua la tête. La culpabilité la tuerait, à coup sûr. Elle ralentit sa course. Ses pas l'avaient menée jusqu'à la clairière du mausolée de Lyssa, première Fille du Soleil et sœur jumelle de Ninnië, son ancêtre. Encore tremblante, des larmes le long de ses joues, elle avança jusqu'au tombeau et ce ne fut qu'une fois proche de celui-ci qu'elle s'aperçut qu'elle n'était pas seule.

A la vue du second visiteur des lieux, elle faillit faire demi-tour. Mais finalement, l'affronter se révèlerait bien plus aisé que ce qui l'attendait si elle revenait sur ses pas. Elle vint donc s'asseoir près de Gabriel après avoir chassé les dernières traces d'humidité sur ses joues et lissé machinalement sa robe du plat de la main. Ce dernier, qui l'avait vue arriver, resta complètement impassible face à sa présence.

Un instant, elle se tourna vers lui pour l'observer de profil. Ses cheveux, ondulés et tombant sur ses épaules, cachaient une partie de son visage, mais elle voyait quand même une cicatrice lui courir le long de la tempe gauche et s'incurver, en un croissant de Lune sur sa pommette. Elle remarqua également qu'il avait déjà le teint hâlé par le soleil de printemps. Et quand il se tourna vers elle, dardant ses yeux dans les siens, elle put voir combien leur clarté contrastait avec sa chevelure et sa barbe ombragées. Il avait le regard le plus dur qu'elle lui avait jamais vu jusqu'à ce jour.

— Je suis désolée pour vous, déclara-t-elle, étonnement sincère.

— Si vous êtes venue voir si vous pouviez me rallier à votre cause, c'est peine perdue, vous pouvez repartir sur le champ. Je n'ai pas envie de vous écouter.

— Ma fille est ici, avoua Inwë en détournant finalement le regard. Je l'ignorais complètement, je viens de la rencontrer et ça m'a tellement bouleversée que je me retrouve ici, avec vous, plutôt qu'auprès d'elle.

Gabriel finit par tourner la tête à son tour, toujours avec ce même air indéchiffrable. Pourquoi s'ouvrir à lui ? Peut-être parce qu'il était plus facile de se confier à quelqu'un qui pouvait comprendre sa douleur. Leur souffrance était identique à cet instant. Mais aussi parce que c'était lui qui avait été présent lors de son accouchement et de son abandon, le complice de sa lâcheté.

Quant à lui, il se trouvait dans un de ses plus grands moments de déshonneur et elle était sûrement celle qui pouvait le comprendre le mieux en dehors d'Erid.

— J'avais une fille, confessa-t-il à son tour, lui laissant apercevoir pour la première fois qu'il était anéanti. J'ai serré son corps calciné et celui de sa mère dans mes bras et j'ai suivi fidèlement l'homme qui les avait tuées durant vingt ans. Il est même devenu mon ami le plus proche. Que pouvez-vous comprendre à cela ?

— Je ne peux comprendre cette douleur, en effet, fit Inwë. Vous étiez ignorant. Je l'ai épousé en connaissance de cause, je vis avec lui, partage mon lit et mes cuisses avec lui. Je lui obéis et je lui suis, moi aussi, fidèle. Il a réussi à m'emprisonner en me faisant croire qu'il me donnait la responsabilité d'un peuple, se servant de lui contre moi. Donc je crois que je peux au moins comprendre cela.

La légende des deux royaumes [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant