La légende des deux royaumes [TERMINÉ]

Chapitre 2 - Partie 1

- Un instant, fit la voix enrouée mais néanmoins ferme du Seigneur William. Je suis réveillé. Va ouvrir mes rideaux et sers-moi mon repas.

Océane se tourna vers lui et acquiesça sans un mot. Elle se dirigea vers les fenêtres et tira les tentures pour laisser la lumière entrer dans la pièce. Derrière elle, William plissa les yeux pour s'habituer à la nouvelle clarté et reçu, appréciateur, les premiers rayons chauds de la journée.

- J'aime la chaleur, j'aime quand le Soleil cogne ainsi, c'est tellement agréable. Là d'où je viens, il n'y en a pas et cela me manquait...

Océane faillit rétorquer impulsivement mais parvint à se contenir. Là n'était pas sa place, elle devait se tenir et ne plus parler de façon impromptue. Le Seigneur William s'en aperçut et cela parut le réjouir, il lui demanda de dire ce qu'elle pensait.

- Et bien, commença-t-elle hésitante, sous le regard amusé du Seigneur. Pardonnez-moi, mais il est vrai qu'en se prélassant dans son lit, on peut apprécier la tiédeur des lieux. Mais dehors la chaleur est tout autre. Elle est la réalité de centaines de gens qui travaillent dans les champs ou montent la garde en armure !

Océane se mordit la langue jusqu'au sang. Même avec sa permission, jamais elle n'aurait dû lui parler ainsi. Il était son maître et il pouvait la renvoyer et ensuite, Sila s'en donnerait à cœur joie. Elle était épuisée, l'état de Grand'ma Nora l'inquiétait au plus haut point et la rendait irritable. Avant que le Seigneur William puisse prendre la parole, elle s'excusa.

- Je suis vraiment navrée, je n'aurai jamais dû vous parler de la sorte. J'accepterais tout à fait que vous me renvoyiez. Je le mérite.

Le Seigneur resta quelques instants silencieux avant de prendre la parole à son tour.

- En effet, tu le mérites. Et je devrais peut-être le faire, ajouta-t-il pour lui-même. Mais tu m'amuses, affirma-t-il en sortant de son lit à moitié nu. Et tu sais quoi ? Tu as raison, je vais aller passer ma journée dehors, connaître la réalité de ces gens. Ainsi, nous pourrons en parler sans risquer de me faire disputer par toi. Qu'en penses-tu ?

Océane suspendit son geste. Il se moquait d'elle ouvertement et légitimement. Et il en avait parfaitement le droit. Sans répondre, elle l'aida à se lever puis à s'habiller, il n'y avait rien d'autre à faire. Le Seigneur William eut l'air d'apprécier qu'elle ne réplique pas, mais il ne lui reprocha pas non plus de l'avoir rabroué. Certes, il avait l'air si sûr de lui, arrogant même. Cependant, il semblait lui offrir une certaine liberté que personne d'autre avant lui ne lui avait permis. Peut-être était-ce parce qu'il était si supérieur à elle qu'il s'en moquait, ou alors il s'ennuyait. Il l'avait choisie pour se divertir, elle le sentait et elle s'en offusquait un peu mais l'acceptait. Elle était spontanée, souvent trop, voilà pourquoi elle n'avait jamais été au service de quelqu'un jusqu'à ce que le Seigneur William la choisisse. Elle-même le savait et voilà pourquoi elle préférait travailler avec des gens de son milieu, elle ne réfrénait pas ses paroles. Cependant, jusqu'à ce qu'il s'en aille, elle devrait faire attention à ne pas dépasser les limites comme elle avait failli le faire à l'instant.

Une fois qu'il fut parti, elle passa la journée à organiser ses affaires, exécuter les demandes qu'il lui avait laissées, dont le bain glacé une fois qu'il fut rentré. Il lui permit de le laisser pour la soirée, ce qu'elle accepta volontiers. Elle s'attendait à devoir patienter jusqu'à ce qu'il ait sommeil et qu'elle doive le coucher.

Alors qu'elle sortait du château, elle vit Mina à quelques pas devant elle et se hâta pour la rejoindre. Sa jeune amie avait l'air lessivée, son teint était luisant et elle avançait au ralenti.

- Tu as l'air épuisée, lui fit Océane une fois à sa hauteur. Qu'as-tu fait pour finir dans cet état ?

- Sila m'a donné à laver les tentures, alors qu'il aurait pu attendre qu'il fasse moins chaud pour me confier la tâche.

- A toi seule ? L'ordure, grinça-t-elle alors que Mina acquiesçait. Il te fait payer à toi ce qu'il s'est passé hier soir. Il compte m'atteindre comme ça.

Son amie lui demanda de lui raconter sa mésaventure et elle lui expliqua ce qui été arrivé la veille, tout en s'énervant un peu plus au fil de son récit.

- Ne t'en fais pas, la tempéra Mina. Les autres m'ont aidée, elles aussi ont trouvé ça injuste. N'empêche que ce qu'a fait ton Seigneur, tout le monde ne l'aurait pas fait et puis il est passé non loin de nous tout à l'heure... Il est très bel homme ! Peut-être qu'il a des arrières pensées envers toi.

Cette remarque fit ricaner Océane. Non seulement à cause des propos de Mina, si ingénue, mais aussi parce que cette pensée lui était totalement saugrenue.

- Je pense que c'est un homme qui s'ennuie et que je l'amuse, rien de plus.

- Dommage, il est plutôt séduisant...

- Et depuis quand es-tu experte dans ce domaine ? demanda Océane pour la taquiner.

Mina se mit à rougir, ce qui fit sourire Océane. Depuis toujours, elle avait le béguin pour son frère, Géron, mais celui-ci avait bien trop de respect pour elle pour tenter quelque chose. Peut-être craignait-il aussi la réaction de sa sœur après coup.

Mina s'était renfrognée et Océane lui déposa un baiser sur la joue.

- Pardonne-moi. Je n'ai pas trop d'occasions de me distraire en ce moment et j'en ai profité.

- Comment va ta grand-mère ? demanda alors la jeune femme qui ne lui en voulait absolument pas.

- C'est la fin, je le sens et elle le sait. Ça me terrorise, j'ignore pourquoi à ce point. Je suis épuisée entre la veiller et subir Sila ainsi que le Seigneur William. Je crois qu'il est temps pour elle de nous quitter, mais je ne veux pas.

On sentait dans le ton de la jeune femme, une amère résignation. Mina serra fort son amie dans ses bras, ne pouvant rien dire pour la soulager. Elles firent le chemin du retour ensemble et quand son amie entra chez elle, Océane s'empressa de rejoindre sa maison.