Chapitre 1 - Partie 2

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William s'esclaffa sous le regard morne d'Océane qui cachait bien mal son dépit. Elle savait qu'elle ne valait pas grand-chose, elle n'était pas dupe et ne s'était jamais fait d'illusions quant à son rang et sa place dans ce monde. Cependant, elle n'appréciait pas vraiment être traitée comme du bétail face à deux personnes qui discutaient de sa croupe comme si elle n'était pas présente. Elle finit toutefois par entendre William annoncer qu'elle lui irait avant de le voir glisser quelque chose à l'oreille du maître des lieux. Ce dernier partit dans un rire tonitruant avant de rétorquer :

- Très bien ! Alors elle est à vous.

Océane resta figée, complètement atterrée par l'ensemble de l'échange, ne sachant pas s'il valait mieux en rire qu'en pleurer. Elle n'aurait pas pu rêver pire, tout cela parce qu'elle était arrivée en retard le matin même et que Sila avait décidé de prendre cette excuse pour se venger d'elle. Ce fut avec résignation qu'elle guida le Seigneur William jusqu'aux appartements qu'on lui avait attribués. Ils faisaient partis des plus beaux et des plus vastes qu'un invité pouvait avoir, ils étaient frais en été et chauds en hiver grâce à l'imposante cheminée qui trônait sur un des murs. Le lit était également l'un des plus ouvragés avec des draps de très bonne qualité, très doux, reconnut-elle.

Le jeune homme paraissait lutter à quitter ses vêtements, aussi, elle l'aida du mieux qu'elle put en parfaite servante, qu'elle se devait d'être. Voilà pourquoi elle aimait être lingère, elle ne croisait que rarement les gens qu'elle servait. Elle était un esprit libre, sa grand-mère aussi l'était et avait éduqué sa famille ainsi. Servir quelqu'un de hautain, imbu de sa personne et qui la prenait pour un objet était quelque chose d'éprouvant pour elle. Mais Océane restait à sa place, sachant parfaitement qu'elle avait besoin de ce travail, tout comme sa famille. Elle n'était pas ingrate au point de sacrifier cela, elle serait parfaitement consciencieuse et espérait que le Seigneur William garderait ses distances et qu'il partirait vite.

Une fois qu'il fut en pantalon, il la congédia et elle s'éclipsa rapidement, redescendit jusqu'aux cuisines, espérant grignoter quelque chose avant de rentrer chez elle. Le Soleil s'était couché et la nuit ne tarderait pas à faire son apparition. Océane voulait se dépêcher, mais elle sut que c'était peine perdue quand elle aperçut Sila, accoudé à une table, une assiette bien garnie devant lui. Il lui fit un petit signe pour qu'elle s'approche et elle s'exécuta, restant toutefois à bonne distance de lui.

- As-tu passé une bonne journée ? demanda-t-il mièvreusement, un sourire aux lèvres.

Son rictus laissait apparaitre des dents jaunis par le manque d'hygiène, il avait les cheveux coupés au ras de son crâne, laissant toutefois apparaitre quelques touffes mal coupées. Ses yeux étaient injectés de sang et son grand nez lui donnait encore plus un air malfaisant. Il ressemblait physiquement à ce qu'il était à l'intérieur, à un être misérable.

- Assez, en effet, répondit la jeune femme qui ne voulait pas lui donner satisfaction.

- Tu vois, tu pourrais me remercier pour ça. Je t'ai épargnée une tâche pénible aujourd'hui.

Océane fit une moue sceptique. Elle n'était pas certaine de cela, au contraire. Se méprenant sur la raison de la grimace, le maître des domestiques ajouta :

- Très bien, puisque tu n'es pas reconnaissante, demain tu laveras les tentures.

Encore une fois, il utilisait cette menace. De plus, il était impossible de s'en occuper seule, ces dernières étaient trop lourdes, difficiles à manier pour une seule et même personne. Ce fut donc avec un plaisir non dissimulé qu'elle rétorqua :

- C'est impossible, à partir de demain, je suis au service du Seigneur William. Ordre de Mordrais.

- Voyez-vous ça ! s'exclama-t-il en se levant. Comment as-tu œuvré pour arriver à un tel résultat ?

- Qu'insinues-tu ? demanda la jeune femme sur la défensive.

- Je connais très bien les goûts de notre maître et jamais il ne t'aurait proposée...

- Peut-être bien que je suis aux goûts de son hôte, rétorqua-t-elle crânement, juste pour le plaisir de le faire enrager.

- Ou alors, tu lui as promis d'autres genres de services, fit-il en lui attrapant le bras et l'attirant vers lui. Peut-être que tu lui as offert ce que tu me refuses...

Comprenant le sens de ces paroles, Océane lui cracha au visage :

- Tout plutôt que toi, c'est vrai !

Sila la gifla de sa main libre et de l'autre, lui tordit le bras. Dans un cri étouffé, elle tomba à genoux.

- Tu vas voir... commença le maître des domestiques avant d'être interrompu par une voix qui venait de derrière lui.

- J'apprécierais que vous ne la touchiez pas. Elle est à mon service et je ne veux pas qu'elle soit abimée... Ça me ruinerait le moral.

Océane vit son nouveau maître dans l'encadrement de la porte, les bras croisés sur son torse. Son regard froid démentait l'apparente frivolité de ses paroles. Sila la relâcha, sentant bien qu'il n'avait pas intérêt d'outrepasser les limites qui venaient d'être posées en la présence du Seigneur William. Océane se releva en massant son poignet douloureux. Aussi reconnaissante qu'elle fut envers cette intervention miracle, elle se demandait ce que son maître faisait ici.

- Vous avez besoin de quelque chose ? Voulez-vous que je vous prépare une collation ?

- Je me débrouillerai, tu peux rentrer chez toi, lui fit-il sans lâcher Sila du regard.

- Vous êtes sûr ?

- J'ai dit : rentre chez toi ! martela-t-il d'une voix dure.

Cette fois-ci, il darda son regard dans le sien, il n'avait rien d'aimable. La jeune femme s'exécuta sans se faire prier trop heureuse de trouver une échappatoire à Sila. Elle revit son jugement sur le Seigneur William, peut-être n'était-il pas aussi infect qu'elle l'avait pensé. Ou alors, il la voulait pour lui. Toute à sa réflexion, elle ne songea pas à se demander comment il avait pu trouver seul le chemin des cuisines en aussi peu de temps après son départ, alors qu'elle l'avait laissé à moitié nu et saoul. La jeune servante était encore trop secouée par ce qui avait failli lui arriver. En passant à côté de Sila, elle chipa un morceau de viande séché pour le ramener chez elle.

Océane ne s'aperçut pas du léger sourire que son geste avait provoqué, sur le visage du Seigneur William.

La légende des deux royaumes [TERMINÉ]Where stories live. Discover now