Chapitre 1 - Partie 1

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Au lieu de traverser la cour d'honneur, d'une propreté immaculée car réservée aux invités, la jeune femme longea les écuries et passa devant la cour d'entrainement, toute boueuse et exigüe. De jeunes palefreniers se trouvaient là, polissant les armures des soldats. Océane les salua brièvement au passage.


L'arrière porte des cuisines s'ouvrait face au puits. Océane entra. Sila et les domestiques étaient déjà là et les corvées du jour en cours d'attribution. La jeune femme se faufila discrètement, saluant certains, pour s'approcher de son amie déjà présente. Cette dernière lui sourit et déposa un baiser sur sa joue. Quand vint le tour des blanchisseuses et lingères, Océane n'entendit pas son nom. Sila avait dû remarquer son retard et lui donnerait une tâche particulièrement ingrate. Combien de fois avaient-elles toutes dû nettoyer à nouveau des tentures propres parce que l'une d'elles avait refusé ses avances ? Mais elles ne s'en souciaient guère, au contraire, toutes préféraient même recommencer cette besogne fastidieuse plutôt que voir l'une des leurs, céder à cet odieux chantage.


Quoiqu'il en fut, Océane du attendre la fin de la distribution et que les domestiques commencent à se disperser pour voir Sila surgir devant elle.


- J'ai gardé pour toi un travail particulier, minauda-t-il de sa voix grinçante. Tu seras au service du Seigneur Mordrais et de son hôte pour la journée. C'est un invité très important et tu devras exaucer leurs moindres désirs. La bière devra couler à flot.

Océane resta placide face à cette annonce. Sila qui attendait une réaction de sa part finit par s'en étonner.

- Et bien, alors, tu ne me remercies pas ? C'est un grand honneur que je te fais de servir notre Seigneur et maître.

De fait, ça l'était. Mais cela voulait également dire passer une longue journée debout, stoïque à subir les affronts d'êtres avinés et finir à une heure impossible. Ainsi, elle ne pourrait pas rentrer tôt pour veiller sur sa grand-mère et Sila le savait.

- Si tu attends de moi un quelconque remerciement, sache que jamais tu ne l'obtiendras, fit Océane, glaciale, à son supérieur qui perdit son sourire.

- File préparer la bibliothèque, lui ordonna-t-il. C'est là-bas que notre maître recevra son hôte.

La jeune femme s'exécuta volontiers et sortit de la pièce en se hâtant.

Mina, qui l'attendait devant la porte, lui demanda :

- Nous ne serons pas ensemble aujourd'hui, n'est-ce pas ? Que t'a-t-il encore réservé ?

- Je serai au service de Mordrais et de son invité toute la journée et probablement une bonne partie de la nuit s'ils s'attardent. Visiblement, il s'attendait à des cris de joie de ma part.

- Oh, ma pauvre ! s'exclama candidement Mina, avant de reprendre avec un ton qui se voulait dur. Mais quel mufle celui-là, si seulement quelqu'un pouvait un peu lui rabattre son caquet.

Cette dernière remarque ne manqua pas de faire rire Océane. Son amie était plus jeune qu'elle de quelques mois lunaires mais restait d'une naïveté confondante, incapable de faire le moindre mal à quiconque. Maintes fois déjà, elle l'avait tirée de situations délicates face à des hommes plus âgés qui tentaient de profiter d'elle et de sa crédulité. Entendre ces mots sortir de sa bouche les rendait encore plus incongrus.

- Ne t'inquiètes pas pour moi, la rassura-t-elle. Ne m'attends pas non plus pour rentrer.


Les deux jeunes femmes se séparèrent et Océane se dirigea vers la bibliothèque. Elle monta quelques étages, traversa de nombreux couloirs. La pièce se trouvait à l'opposé des cuisines, simple bon sens lorsqu'on voulait protéger les ouvrages d'un éventuel incendie. Mais il était évident pour la jeune femme qu'elle allait devoir traverser le château en long et en large de nombreuses fois durant la journée. Elle allait être épuisée en rentrant.


Une fois arrivée dans la grande bibliothèque qui ne servait que trop peu, Mordrais et son entourage n'étant pas des gens de lecture, la jeune femme admira les centaines d'ouvrages reposant sur des étagères poussiéreuses. Elle ne savait pas lire et avait trop peu de temps pour elle, mais si elle avait su et pu, elle aurait adoré se plonger dans ces livres. Ils semblaient si attrayant dans cette grande pièce, révélant la richesse de Mordrais.


Le Seigneur Mordrais était l'un des hommes les plus fortunés du continent. Son domaine était prospère, il y cultivait une bière d'orge qui était renommée dans toutes les Plaines du Soleil. Mais plus que cela, il était un homme influent, son or l'avait rendu indispensable auprès de nombreux hommes à la tête du Royaume. On racontait que le Roi lui-même écoutait attentivement ses conseils. Il se murmurait même qu'il avait des espions à sa solde aux quatre coins du continent.


Océane se moquait des rumeurs, elle vivait sa vie comme elle l'entendait, près de sa famille et c'était le plus important. Tant que ça ne lui causait pas d'ennuis, Mordrais pouvait faire ce qu'il lui chantait. Quand elle eut fini de nettoyer une table couverte de parchemins et de poussière elle ramena un pichet de bière et deux choppes et attendit patiemment que les deux hommes arrivent.


Ceux-ci ne tardèrent pas à faire irruption dans la pièce, le Seigneur Mordrais, un homme corpulent, la blondeur grisonnante, le regard torve masqué derrière un sourire factice, laissa son invité entrer le premier. Celui-ci, plutôt jeune et svelte, jugea d'un œil appréciateur les rangées de livres, puis jeta un regard guère différent à Océane avant de se tourner vers son hôte.


- Jolie pièce que vous avez là et jolie collection.

- Ravi que cela vous plaise, Seigneur William. Je vous en prie, asseyez-vous, déclara Mordrais en désignant les fauteuils près de la fenêtre. Je vous avoue que votre message m'a surpris : votre choix de vous rallier aux Plaines du Soleil m'a grandement étonné. Il est étrange qu'un Seigneur de Somgysaï trahisse les siens. Je vous croyais tous fidèles à votre Reine. Cependant, votre ralliement serait pour nous un avantage certain dans les temps à venir.

Océane comprit ce qui l'avait dérangé chez le Seigneur William. Il avait une peau étrangement pâle pour un début d'été et ses cheveux courts et rejetés en arrière ne semblaient pas avoir pris la lumière du Soleil depuis longtemps, même s'ils n'étaient pas tout à fait bruns. C'était la première fois qu'elle voyait un homme d'au-delà des montagnes, du Royaume secret de Somgysaï. Elle avait toujours été curieuse de voir qui habitait dans la Forêt des Songes et son intérêt était désormais rassasié. Pourtant, son être entier vibrait à cette rencontre.

- Vous savez, enchaîna l'invité après lui avoir jeté un regard rapide, si je suis prêt à m'allier à vous c'est que j'y ai mes propres intérêts.

- Bien parlé ! s'exclama Mordrais. Je sens que nous allons nous entendre. Grâce à votre appui, la balance finira par pencher de notre côté.

Océane s'avança, leur servant à chacun une pinte puis recula, prête à intervenir à la moindre demande. Le Seigneur William, sa choppe en main, en regarda le fond le sourire aux lèvres et but une gorgée du liquide ambré avant d'en reprendre, un sourire mutin aux lèvres.

- Vous savez, mon cher, nous avons tout le temps pour nous lancer dans de quelconques plans. Savourons plutôt cet instant, vous et moi. Après tout, c'est grâce à vous, Mordrais, si le peuple de Somgysaï se rattachera à celui des Plaines. Alors saluons cette idée avec une bonne bière.

- Vous avez raison, rugit le Seigneur des lieux dans un immense éclat de rire. Profitons-en, nous avons tout notre temps ! Toi, dit-il en pointant du doigt Océane, file nous chercher de la bière et plus vite que ça, elle doit couler à flot. Il faut que ce jour reste en nos mémoires, et quoi de mieux que de boire sans modération pour s'en souvenir ?

- Très juste, mon ami, très juste. Soulons-nous jusqu'à n'en plus pouvoir...


La légende des deux royaumes [TERMINÉ]Where stories live. Discover now