Thaïs (Chapitre 144)

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-Je dors, ça ne se voit pas ?

-Thaïs, on a pas le temps de traîner !

-Bon, bon...

J'ouvre un œil pour aviser Hedwige, toujours en train de me secouer. On peut rire... Elle n'a pas été réveillée au milieu de la nuit, elle. Je suis cependant debout en quelques minutes, inquiète à la vue de l'expression de son visage.

-Heu, on peut savoir ce qui se passe ?

Je me lève en même temps que je prends la parole et commence à attraper ma tunique couleur léopard, non, ne riez pas, on est réellement assortis, Bir-Hakeim et moi... Bref. Je complète la tenue par mon habituel pantalon noir et mes bottes de cuir, abîmées par le temps et un usage intensif.

Sarah finit d'attacher ses cheveux sombres et ne nous regarde pas. Hedwige se mordille la lèvre.

-Disons qu'il y a un nouveau rassemblement...

-Encore ?

La tête en bas, je tente sans grand succès de démêler mes cheveux beaucoup trop bouclés. Hedwige soupire.

-Oui, les garçons sont déjà là bas. On t'attendait, pas moyen de te réveiller ce matin... Mais il paraît que c'est aujourd'hui qu'on part, ce qu'on savait déjà, mais ils vont nous donner les précisions...

Si je n'étais pas aussi blasée naturellement, il est certain que je serais tombée à terre. Bonne ou mauvaise nouvelle ? En tout cas, je n'ai pas vraiment le temps de m'appesantir sur la question.

-Bon, bah maintenant que je suis enfin levée, on a plus qu'à y aller...

Je soupire et me dirige rapidement vers l'échelle. Je descends à une vitesse défiant toute concurrence les barreaux, en ayant la chance inouïe de ne pas me rompre les os, et j'atterris sur le ponton.

De toute évidence, il est facile de descendre plus vite que moi... Bir-Hakeim m'attend, assise sur la surface de bois, et levant vers moi ses grands yeux dorés. Je plonge une main dans sa fourrure et m'agenouille près de ma panthere.

-Alors, ma belle, ça va ? Il paraît qu'aujourd'hui et un grand jour... On déménage...

Elle se contente de pousser un ronronnement qui ferait trembler n'importe quelle personne sensée, preuve que je ne le suis pas, et fixe ses yeux sur la barque qui se balance lentement au rythme de l'eau.

-Tu as raison, je crois qu'on doit y aller...

Hedwige et Sarah viennent de me rejoindre et nous grimpons rapidement dans la barque, suivies de Bir-Hakeim qui s'installe à l'avant comme une figure de proue.

Nous arrivons rapidement au lieu du rassemblement, en même temps que d'autres sections, et nous courrons plus que nous ne marchons vers le lieu du rassemblement.

Je suis dévorée par la curiosité de savoir ce que le commandant nous réserve exactement, et je tiens bien malgré moi à essayer de revoir Aevin et d'échanger avec lui au moins un petit sourire...

J'accélère et ne tarde pas à distancer les autres, mais pas ma panthère qui continue de courir à mes côtés.

J'arrive dans la clairière et constate avec amusement que, décidément, il n'y a pas assez de place pour tout le monde. La formation en carré risque cette fois-ci d'être légèrement plus désordonnée... L'idée m'amuse et je m'arrête, tentant d'apercevoir Aevin. Peine perdue... Au milieu de la cohue, retrouver quelqu'un n'est pas vraiment facile...

Un cercle prudent se creuse autour de moi, enfin, surtout autour de Bir-Hakeim, et je peux observer plus facilement la marrée de visages qui m'entoure. Mais soudain, un coup de pistolet retentit, annonçant la mise en position, et je retrouve tant bien que mal ma section pour tenter de faire un bien drôle de carré...

Mes yeux voient alors le commandant et deux de ses acolytes. Yves... Les yeux vides, le regard froid, les bras croisés. Une attitude détachée de chef qui ne lui correspond absolument pas.

Je soupire, me remémorant notre discussion. Comment vivrais-je si mes mains avaient servis à l'exécution de jeunes gens en matière d'exemples ? Je l'ignore... J'ai beau m'être jurée de l'aider, je ne vois toujours pas bien comment je vais faire.

Le silence dans la clairière se fait alors pesant. Le commandant laisse passer quelques minutes avant de prendre la parole.

-Bonjour... Je n'ai que peu de choses à vous dire. On part. Démontez toutes les constructions, laissez tomber les planches des cabanes à l'eau, faite disparaître toute trace du campement. Dans trois heures, nous nous mettrons en route.

Personne ne parle. Et soudain, n'y tenant plus, je m'avance d'un pas. Devant ce geste plus qu'inabituel, tous les regards convergent vers moi. Comme d'habitude, j'aurai mieux fait de réfléchir avant d'agir... Je soupire. Ce n'est pas pour rien qu'on dit aux enfant bavards de tourner sept fois leur langue dans leur bouche avant de parler... Ça permet de mesurer les conséquences de nos actes. Enfin, puisque j'en suis là, autant continuer.

-Commandant, excusez moi de prendre la parole mais j'aurais juste une question. Ou allons nous ?

Il s'avance lentement vers moi, une joie mauvaise sur le visage. Je sens mes co-équipiers retenir leurs souffle. Sympathique...

Le commandant s'arrête à deux pas devant moi, fermement campé sur ses pieds, les poings sur les hanches.

-La forte tête pose des questions ?

Je songe fugitivement que je n'ai jamais été courageuse. Je suis juste un tout petit peu, très légèrement impulsive... Et là, dans l'immédiat, j'aimerai juste pouvoir reculer et imaginer que je n'ai jamais posé la moindre question. Mais bon, maintenant, je n'ai plus qu'à assumer...

-C'est ça.

-Charmant. Eh bien, soit, je vais vous répondre. Après tout, vous avez posé une question plutôt intelligente... Nous partons pour Ivy, la capitale.

La réponse fuse de ma bouche sans même que je réfléchisse.

-Et qu'allons nous y faire ?

Le commandant s'approche de moi. Son visage est à moins d'un mètre et je vois la colère envahir ses traits. Je me mords la lèvre jusqu'au sang. Quand est ce que j'apprendrais à me taire ?

-Vous posez trop de questions mademoiselle. On va à la capitale. Pour le reste, vous n'aurez qu'à obéir aux ordres. On vous les donnera là-bas.

Je ne réponds rien, consciente d'avoir poussé beaucoup trop loin cette fois ci. Je recule d'un pas et regagne le rang. Malgré moi, la présence de Bir-Hakeim dans mon dos me rassure plus que je ne voudrais l'admettre.

Le commandant fait alors un léger geste, signifiant la fin du rassemblement, et tout le monde commence à se disperser. Mais il me retient par le bras. Il me chuchote quelques mots qui me glacent d'horreur.

-Vous voulez savoir ce que vous allez faire ? Tirer. Je ne vous entraîne pas aux petits soldats pour rien...

Il détache sa main de mon bras et me tourne le dos avant de s'éloigner à grands pas. Je reste seule, légèrement déstabilisée. C'est avec soulagement que je reconnais Aevin qui vient vers moi. Il s'arrête devant moi avec un sourire mais une ombre de sérieux au fond des yeux.

-Qu'est ce qu'il t'a dit ?

Le sourire qui venait de monter à mes lèvres s'efface tout à coup.

-Simplement que nous allions devoir nous servir de nos armes...

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant