•Edilyn• (Chapitre 42)

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Je n'arrive pas à rester assise dans mon fauteuil. J'ai le sentiment d'être une pile électrique chargée à bloc...

Je me relève pour la énième fois et recommence à faire le tour de la pièce. Quelques gouttes de sueur perlent de mon front. J'ai chassé mes serviteurs. Je me suis enfermée dans ma solitude pour une soirée.

Je suis à bout. Aujourd'hui, pour quelques heures seulement, je rends les armes.

Cette journée a été plus qu'éprouvante. Et elle n'est pas finie...

Je continue de marcher en rond dans mon appartement pour tenter de défaire cette boule qui me serre la gorge.

Je m'arrête tout à coup et me tourne vers la fenêtre. J'ai entendu des pas. On ne va pas tarder à toquer à ma porte et je refuse qu'on me voit dans cet état. Inspiration, expiration.

Je m'apprête à dire "entrez" mais n'en ai pas le temps. Le visiteur a mal choisi son moment pour entrer chez moi sans frapper... Je me retourne d'un bond et reste silencieuse, le souffle coupé.

En revanche, mon interlocuteur n'a lui aucun problèmes pour parler, visiblement...

-Edilyn ! Avoue, avoue immédiatement !

Je prend une voix innocente en tentant de calmer mon rythme cardiaque.

-Bonjour d'abord. Ensuite, avouer quoi ?

-Que tu as essayé de m'assassiner aujourd'hui !

Je dévisage Gaëtan en silence. Des cheveux noirs, des yeux encore plus sombres, vingt cinq ans environ, et un air actuellement dangereusement calme au visage.

-Mmm... Quel intérêt de t'assassiner ? Je ne nie ni n'avoue, je te demande des arguments...

Il esquisse un geste d'agacement avant de s'assoir dans le premier fauteuil venu. Je fais de même, regrettant amèrement de ne pas l'avoir mis dehors quand il est arrivé.

-Déjà, c'était l'occasion ou jamais de te débarrasser de moi une bonne fois pour toute...

Je hausse légèrement un sourcil, gardant pour moi mes pensées, et me contentant d'attendre gentiment, bon d'accord avec un peu d'exaspération, la suite de son discours.

-Ensuite, tu n'as pas aimé ce que j'ai dit hier hein ? Tu veux la mort de ton frère... Tu as peur qu'il te fasse de l'ombre ?

Je préfère ce terrain-ci. J'ai blindé mon visage. Il ne verra rien de mes pensées ou sentiments.

-Il ne me fera jamais d'ombre. Les juges l'ont destitués.

Mon ton est neutre, convaincant. J'analyse un fait. Mais il secoue la tête et plante ses yeux d'orage dans les miens.

-Oui, bien sûr. Mais nous savons tous deux que cette petite mention est due à ton initiative personnelle, n'est ce pas ? Et donc, si l'on s'en apercevait, il y aurait un petit risque qu'il recouvre ses droits d'héritier...

Je ne parviens pas à retenir un petit éclair de colère qui apparaît un bref instant au fond de mes yeux. Je ne m'étais pas trompée.

Gaëtan est dangereux. Trop fouineur et intelligent. Je me décide à lui répondre.

-Imaginons. Si réellement j'ai cherché à te tuer, que viens-tu faire ici ? Ce serait te jeter dans la gueule du loup...

Un sourire retors illumine un bref instant le visage de Gaëtan.

-Bien sûr. Mais je ne suis pas fou, j'ai pris mes précautions. Tes parents savent que je suis ici...

Je laisse échapper un regard froidement admirateur devant ce coup-bas. J'aime qu'on me résiste. Gaëtan n'est qu'un pion de plus sur l'échiquier adverse...

Je l'aurai tôt ou tard. Un doute traverse un instant mes pensées. J'ai du mal à m'en convaincre malgré moi. Je me rassure. Aujourd'hui j'étais décidée... Il a juste eu de la chance.

Mais Gaëtan se relève de son siège. A croire que je ne suis pas la seule à ne pas tenir en place.

Il va vers la fenêtre de la pièce et s'y appuie, le front contre la vitre froide. Il me tourne le dos et regarde les jardins.

Sa voix est tout autre quand il reprend la parole.

-Edy... Tu ne te rappelles pas de toutes nos folies d'enfant ? N'y a-t-il réellement plus rien en toi ?...

Je ne réponds pas et garde le silence. Je suis furieuse, désarmée. Je ne peux pas répondre. Il continue sans se retourner.

-Tu ne jouais pas avec moi bien sûr, je n'étais pas souvent au château... Tu riais avec Aevin et Gabriel en inventant mille bêtises...

Il ne se décourage pas face à mon silence prolongé. Je voudrai lui dire, je voudrai lui ordonner d'arrêter de parler. D'arrêter de remuer au fond de moi un couteau tranchant.

-Cet hiver ou nous avons vraiment fait connaissance toi et moi... Je m'en rappelle encore. Il y a eu, bien sûr, cette ballade de boules de neige mémorable, mais aussi tant d'autre chose ! Le concours de cuisine ! Tes crêpes avaient un goût de charbon et mes œufs au plat ressemblaient à...je ne sais pas quoi au juste...

Je serre les dents malgré moi. Je me décide à répondre.

-Je n'ai pas perdu la mémoire, quoi que tu puisse en penser. Tais-toi, je n'ai pas envie d'en entendre plus.

Il se retourne enfin et me fait face. Ses yeux sont terriblement sérieux quoique teintés d'amertume.

-Alors assumes. Dis le moi au moins une fois dans ta vie en face. Tu as tenté de me tuer. Et c'est ton frère que tu traites d'assassin ? Je ne sais pas ce que vous avez dans votre famille, mais il y a de toute évidence un problème !

Devant sa colère, je garde un calme froid. Je n'ai pas envie de l'entendre. Je ne veux plus le voir.

-Tu n'es qu'un incapable... Tu ne voudrais plus condamner mon frère ? Oui, j'ai tenté de t'assassiner !

Les mots sont sortis malgré moi. Comme une avalanche qui démarre en montagne, d'un coup, sans prévenir.

Je vois le visage de Gaëtan changer pour devenir aussi froid et impassible que le mien.

Et je déteste ça. Je déteste voir cette muraille glacée qui ne me regarde même pas, l'accablant de son mépris.

Il esquisse un nouveau, un dernier sourire teinté de cette pointe d'amertume et de tristesse si particulière.

-Tu n'as vraiment jamais pu me pardonner hein ?...

Je le contemple en silence.

-Te pardonner quoi ?

Au moment où les mots sortent de ma bouche, je sens mon erreur. Je sais ce qu'il va dire. Je sais la flèche qui va s'enfoncer dans mon cœur.

-De t'avoir demandée en mariage...

Intemporel T1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant