XXIV. La dernière énigme

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À l'internat de Mademoiselle de Touchet, la nouvelle de la survie d'Isabeau et du fait qu'elle avait repris connaissance fut accueillie par des réactions fort diverses. La plus soulagée fut sans doute Georgianna, qui se sentait tout à fait coupable du geste désespéré d'Isabeau, l'ayant plus ou moins provoqué en volant le livret. Philiberte, qui avait trouvé le corps, partagea son soulagement. Les deux jeunes filles s'isolèrent ensemble dans leur chambre dès qu'on les eût mises au courant.

La nouvelle permit également à Calixte et Domitille de se sentir plus légères : si Isabeau vivait, elle serait en mesure d'expliquer ses motivations. Pourquoi elle avait tué Valmont ; la raison qui l'avait poussé à se débarrasser de Muguette – et la manière aussi. Et comment elle s'était procuré cette impossible paire d'escarpins rouges, qu'avait chaussés leur mère le soir de son trépas. Les jumelles ne vouaient en revanche aucune compassion à leur camarade, contrairement à Georgianna et Philiberte, plus aptes à ouvrir leur cœur – et qui avaient également été moins impliquées personnellement dans les événements.

Pour le reste, les quatre pensionnaires restantes s'accordaient sur le fait qu'Isabeau était un monstre, mais ne partageaient évidemment pas les mêmes vues quant au sort qui devrait être le sien. Anne-Lucienne plaidait pour le pardon et le salut de son âme ; Edmondine jurait à qui voulait l'entendre qu'elle ne pourrait plus jamais poser les yeux sur Isabeau sans trembler en son âme et en son cœur, et qu'elle ne lui pardonnerait jamais. En cela, elle était secondée par la jeune et influençable Rose-Céleste, qui s'aventurait en sus à théoriser la folie sanguinaire d'Isabeau en citant Freud ; et finalement, Nazaire s'en fichait pas mal, parce que toute cette animation lui laissait l'occasion de s'éclipser pour aller fumer tranquillement par la fenêtre de sa chambre.

L'effervescence finit toutefois par se dissiper, ne laissant derrière elle qu'une atmosphère franchement morose. Affalée dans son fauteuil, le regard dans le vague, Domitille s'efforçait de ne plus penser. Le goût amer que laissait dans sa jolie bouche cette succession de catastrophes lui donnait envie de vomir. Quel gâchis ! Elle brûlait d'entendre des lèvres d'Isabeau la réponse à la seule question qui lui tenaillait l'esprit : pourquoi ?

À défaut de pouvoir obtenir ce qu'elle souhaitait si ardemment, la jeune fille finit par décider de s'isoler à son tour. Jusqu'alors, elle avait couru une course folle, entraînée par Calixte, dans l'optique de percer à jour l'assassin de l'homme de sa vie. Maintenant que cet assassin était démasqué, et même si ses motivations et le déroulement exact du meurtre de Valmont demeuraient peu clairs, Domitille se sentait vidée. Elle n'avait plus ni but ni raison d'être. Ses pensées flottaient toutes vers Valmont, dans les bras duquel elle aurait tant aimé se réchauffer le cœur, mais qui ne serait plus là pour l'agacer, l'embrasser, l'aimer.

Valmont ne serait plus jamais là.

Le cœur au bord des lèvres, Domitille abandonna Calixte aux débats freudiens qu'elle menait avec Rose-Céleste et quitta le grand salon. Elle évita la bibliothèque comme la peste, de crainte de revoir surgir sous ses yeux l'image impossible d'un Valmont que la vie aurait déserté, maintenant qu'elle réalisait lentement la réalité de son trépas. Elle préféra sortir de l'internat pour s'octroyer une promenade dans le parc.

Les connaissances de Domitille en matière de botanique n'étaient certes pas bien étendues, mais cela ne l'empêchait pas d'apprécier la beauté du parc qui s'étendait autour de la propriété de Mademoiselle de Touchet. Avant les terribles événements qui avaient ébranlé l'internat, avant que Valmont ne lui brise le cœur en disparaissant sans lui laisser la moindre explication, elle s'y baladait souvent, profitant de la beauté des lieux et de leur incroyable sérénité.

Le parc n'était malheureusement pas si beau en cette fin d'après-midi. Un ciel gris et pesant empêchait les arbustes et les fleurs d'exprimer leur palette de couleurs vives, et un petit vent froid griffait la peau nue de Domitille, qui n'avait pas songé à enfiler de jaquette sur sa robe sage. Qu'importait. Le froid lui gèlerait peut-être le cœur ! Elle ne demandait pas mieux.

Le cadavre sexy du monsieur tout nu sur la peau d'ours dans la bibliothèqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant