XIV. Témoin indésirable

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Edmondine fut la première à exprimer le souhait de se rendre au chevet de Muguette, lorsque Mademoiselle de Touchet informa ses pensionnaires que la jeune fille allait visiblement mieux et survivrait sans aucun doute à son empoisonnement. De manière pour le moins surprenante, Isabeau insista pour se joindre à elle, arguant qu'elle s'en voulait d'avoir contraint Muguette à l'aider à se débarrasser de SATAN le soir de son malaise, et qu'elle aurait aimé faire quelque chose pour elle, au moins. Edmondine se sentit plutôt frustrée d'être privée de son statut de meilleure amie altruiste par le gentil geste d'Isabeau, mais elle fit contre mauvaise fortune bon cœur et s'efforça de montrer une figure aimable lorsque Mademoiselle de Touchet vint les prévenir que le taxi appelé pour elles était arrivé, alors même qu'elles prenaient le thé en compagnie des autres pensionnaires.

Les deux jeunes filles finirent leurs tasses en vitesse puis s'emmitouflèrent dans leurs capes, chaussèrent leurs bottines et s'en allèrent vers la voiture garée dans l'allée. Avant qu'elles ne disparaissent dans l'habitacle, Anne-Lucienne leur remit une boîte de biscuits secs à l'effigie du Sauveur, destinée à remettre l'âme de Muguette sur pieds, maintenant que son corps se portait mieux. Pour remonter le moral de la malade, Edmondine comptait plutôt sur quelques livres qu'elle emmenait, dans l'intention d'en faire don (temporairement) à Muguette. Il y avait le merveilleux Comte de l'Amour, le très romantique Une grosse pagode au clair de lune ainsi que La duchesse rebelle et le paysan à la fourche agile, une découverte récente dont Edmondine était extrêmement fière. Et puis évidemment, elle emportait son exemplaire du Kilt du Destin, juste au cas où Muguette aurait eu envie de relire une énième fois ce merveilleux chef d'œuvre !

Le crépuscule enveloppait déjà les landes de ses cinquante nuances de gris lorsque le taxi s'arrêta devant l'hôpital de la Très Noble Charité de Sainte Ursule La Gentille, où Muguette était hospitalisée depuis le matin. Isabeau remercia le chauffeur d'un sourire tandis qu'Edmondine s'extrayait tant bien que mal de son siège en prenant bien garde à ne pas abîmer ses précieux livres. Il fut convenu que le taxi les attendrait sur le parking, la visite des deux jeunes filles ne devant sans doute pas excéder la demi-heure – il fallait laisser Muguette se reposer, évidemment ! Sa santé passait avant tout.

En chemin vers le large bâtiment rosâtre de l'hôpital, Isabeau se chargea de la boîte des divins biscuits secs, puis prit Edmondine en pitié et s'avança pour l'aider à porter quelques livres. Ses petits doigts courts et boudinés – Isabeau était plutôt jolie, si on omettait qu'elle tirait toujours la gueule et qu'elle avait des mains hideuses – se refermèrent sur le volume le plus à sa portée. Edmondine se sentit défaillir.

– Pas celui-là ! s'exclama-t-elle.

Un peu surprise par une réaction si violente de la part de sa camarade d'ordinaire plutôt placide, Isabeau manqua de laisser tomber le précieux feuillet – elle ne le fit fort heureusement pas, car cela aurait marqué le début d'une guerre contre Edmondine qui ne se serait achevée qu'avec la mort de l'une des deux protagonistes.

– Je... tâcha de se reprendre cette dernière. Je suis navrée. Mais c'est Le Kilt du Destin. Je n'aime pas... qu'on le touche comme ça.

Isabeau écarquilla les yeux et battit de ses longs cils. Elle se permit de retourner le livre pour en lire le quatrième de couverture, la bouche pincée en cette moue un peu snob qui lui était presque naturelle – ses lèvres étaient particulièrement pleines. Edmondine parvint à se contenir à grand-peine.

« Dans les terres sauvages d'Écosse, la belle dame Ailein Mac Claondach découvre le cadavre d'un inconnu sur ses terres, assassiné avec la propre pelisse en peau de renard roux que la famille Mac Claondach se transmet de génération en génération. Quand le chef de clan, Bruce Mac Macarron vient enquêter, Ailein comprend vite qu'il la soupçonne du crime ; mais elle ressent également une incroyable attirance pour ce géant roux dont le kilt si bien coupé dévoile des poils de jambes bouclés et fournis. Pourra-t-elle y seulement y passer les doigts ? Le Destin unira-t-il Ailein et Bruce ou persistera-t-il dans sa volonté de les séparer, tel le kilt qui contient leur désir ? »

Le cadavre sexy du monsieur tout nu sur la peau d'ours dans la bibliothèqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant