VIII. Cartes sur table

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Le lieutenant Patrick Fondement avait certes osé, dans un coup d'éclat qui tenait de la frime pure et dure, arrêter à la fois Domitille Valette et sa sœur Calixte – ou le contraire, allez savoir avec ces jumelles – il n'en demeurait pas moins qu'il faisait moins le fier maintenant qu'il les avait installées dans deux salles d'interrogatoire voisines, à travers les vitres teintées desquelles il pouvait les observer toutes deux. Domitille Première profitait de l'espace pour faire des pompes dans un coin, et Domitille Seconde faisait des vocalises depuis environ une demi-heure, s'attelant visiblement à donner une représentation d'un opéra qui, selon l'agent Lande d'Aussac, se nommait Le Prisonnier du Caucase – un truc russe, apparemment. Le lieutenant Fondement préférait Edith Piaf, en ce qui le concernait.

– Bon, vous allez vous décider à aller parler à l'une d'entre elles ou on les garde en observation pour voir laquelle meurt d'inanition la première ? Je parie sur Domitille Seconde...

L'agent Lande d'Aussac dardait un regard ironique sur son patron, qui s'était tout de même laissé plus ou moins mater par deux gamines de dix-sept ans. Impossible de déterminer laquelle était Domitille tant qu'elles continuaient à clamer l'incarner toutes les deux.

– Je vais commencer avec Domitille Première, grommela le lieutenant Fondement en soupirant. Elle m'a l'air plus prometteuse que l'autre chanteuse d'opéra.

Le lieutenant Fondement pénétra dans la première salle d'interrogatoire sous le regard toujours ironique de son acolyte attitrée. La pièce était nue, volontairement glauque. Une table en métal, vissée au sol, occupait le milieu, encadrée de deux chaises d'aspect sommaire – entendre par là quelques bouts de bois fixés ensemble, et le tour était joué. Lorsqu'il avait affaire à des suspects potentiellement dangereux ou suicidaires – ou alors à l'alcoolique nudiste voleur de poules – Patrick ôtait généralement les chaises, mais en l'occurrence, il ne craignait pas vraiment cette petite brindille de Domitille Première, qui s'efforçait de jouer les caïds en faisant ses pompes, sans que son apparence n'en soit plus menaçante pour autant. Le lieutenant Fondement devait cependant reconnaître qu'elle possédait une endurance digne de toutes louanges ; lui-même n'enchaînait jamais plus de cinq pompes avant de tomber mort sur le parquet. Il fallait dire qu'il préférait généralement entraîner ses muscles fessiers.

– Bonsoir, lui sourit Domitille Première lorsqu'elle le vit s'asseoir.

Elle se releva et vint se placer en face de lui, en docile petite jeune fille de bonne famille. Ses yeux sombres ne mentaient pas, toutefois : Patrick lisait en eux toute l'animosité qu'il inspirait à sa prisonnière. Il n'arrivait pas à se souvenir s'il s'agissait de celle qu'il avait arrêtée en premier ou de l'autre, qui avait semé la zizanie par la suite. Qu'importait. Ils allaient parler.

– Je me fiche de savoir si tu es Domitille ou Calixte, grommela-t-il à l'intention de la jeune fille aux douces mèches blondes un peu emmêlées par sa série d'exercices. Ce que je veux, c'est que tu me racontes ce qu'il s'est passé hier soir. Ce que tu as fait, ce que tu as vu et entendu, dans les moindres détails. Et si tu coopères, peut-être que tu ne feras pas la une de la gazette de demain avec une grosse étiquette d'assassin attachée à ta jolie petite personne.

Patrick avait toujours l'impression de jouer un rôle qui n'était pas le sien lorsqu'il s'efforçait d'incarner le méchant flic, celui qui en avait vu d'autres et qui ne s'en laissait pas conter. Son petit théâtre ne convainquit visiblement pas la gamine, car elle leva les yeux au plafond avec l'air de s'ennuyer copieusement.

– Ro allez, l'interpella-t-il de nouveau, sans prendre sa voix d'ours mal embouché cette fois. J'ai faim, je suis crevé, je meurs d'envie d'aller m'envoyer une bière et une pizza. Déballe-moi au moins deux-trois bêtises, que je n'ai pas trop l'impression de perdre mon temps, et je te ficherai la paix. Vendu ?

Le cadavre sexy du monsieur tout nu sur la peau d'ours dans la bibliothèqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant