Chapitre XII

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Cette journée fut un succès total ! Pour être honnête, il n'en avait jamais été autrement. Les festivités se prolongèrent bien au-delà de l'après-midi, et la cour carrée avait résonné jusque tard dans la nuit des rires et des chants de tout ce petit monde qui faisait vivre Gallerand. Quant à moi, Grand-Père m'avait officiellement présenté à monsieur le maire et à son épouse, ainsi qu'à monsieur le curé... qui était venu sans la sienne. Je vous l'accorde, cette blague est nulle, mais elle avait beaucoup fait rire Grand-Père ! J'avais donc fait mes premières armes dans le monde des grands, en tant que futur maître des lieux. J'avais passé ma soirée de manière beaucoup moins protocolaire - et beaucoup plus amusante – avec Baptiste et Ludo, que l'incident de la veille semblait avoir rapprochés.

Cette année, au grand dam de Grand-Mère qui, en bon sujet de Sa Gracieuse Majesté, avait quelques soucis avec la république, Grand-Père avait fait tirer un superbe feu d'artifice sur l'étang. Le ciel de Gallerand s'était enflammé aux sons de la Music for the Royal Fireworks de Haendel, rien que ça...

La sono cachée de l'autre côté de l'étang répondait à celle qui était placée le long des murs du château sous les rives du toit, donnant ainsi l'impression que la musique sortait de nulle part et de partout à la fois. C'était vraiment magique ! Et, cerise sur le gâteau, Ludo m'avait tenu la main pendant toute la durée de ce qu'il convenait d'appeler un spectacle grandiose !

Malgré la proposition de Baptiste de nous ramener chez Ludo, nous avions décidé de dormir à la maison à cause de l'heure avancée. Pas question de laisser mon beau brun tous seul sur les routes en pleine nuit ! Et je me voyais mal demander à Ludo de lui faire une place dans le lit...

Après avoir embrassé les grands-parents, Ludo et moi partîmes à la recherche de Popcorn, qui avait déserté le salon bleu. Après vingt bonnes minutes de recherche, Ludo m'attrapa par le bras et me fit signe de le suivre sans faire de bruit. Il me traîna ainsi jusqu'au salon de musique. Là, roulé en boule sur le tabouret du piano, Popcorn avait sagement entamé sa nuit. Il était tout simplement craquant ! Ludo se chargea d'aller rassurer Grand-Mère à propos du chat, pendant que je récupérais délicatement cette toute petite chose pour l'emmener à l'étage. À peine l'avais-je touché qu'il se réveilla en bâillant, et en faisant un drôle de bruit. Une sorte de miaulement étranglé qui ressemblait à s'y méprendre au son d'une porte qui grince... Il s'étira consciencieusement, se frotta contre ma main, et grimpa le long de mon bras pour venir s'installer confortablement sur mon épaule. Une fois posé, il se mit à ronronner en frottant sa tête dans mon cou. Il n'y avait pas à dire : Popcorn était beaucoup plus aimable que moi au réveil... Et maintenant, en route pour ma chambre...

Il faut que je vous décrive rapidement ma « chambre »... L'avantage quand on habite un château, c'est que généralement on n'y manque pas de place. Gallerand ne dérogeait évidemment pas à la règle, et ce d'autant moins que nous n'étions que trois à y habiter en permanence...

L'année dernière, je m'étais risqué à un gigantesque coup de bluff : j'avais demandé à déménager dans le châtelet qui défend l'entrée de la cour carrée. L'imposante bâtisse de pierre blanche me fascinait depuis que j'étais gosse : grâce à elle, dans mes rêves, j'étais un fier chevalier, et je défendais mon château fort en maniant gracieusement l'épée du haut de mon blanc destrier... Sauf que, dans la vraie vie, on s'éloignait quelque peu de mes rêves de gosse : mon cheval était noir et je montais plutôt bien, mais j'étais une quiche en escrime, et Gallerand était un petit joyau de la Renaissance qui n'avait strictement rien à voir avec un château fort !

Je savais pertinemment que jamais on ne me laisserait habiter là-bas : si extérieurement le châtelet avait de la gueule, à l'intérieur tout était d'époque... y compris les escaliers vermoulus, les murs décrépits et les planchers pourris : j'avais d'ailleurs plus d'une fois failli changer d'étage sans prendre l'escalier... Personne n'était au courant, bien évidemment : après tout, un gros cadenas tenait la lourde porte d'accès bien fermée. Mais Grand-Mère cachait toujours les clefs des endroits interdits d'accès dans la petite boîte à musique qui était sur la cheminée de son bureau...

Baptiste (Souvenirs, tome I)Where stories live. Discover now