Chapitre III

861 108 51
                                    


L'endroit formait une anse sur la rivière, bordée d'une petite plage de galets plats. Légèrement encaissée, la rivière dessinait un espace à part, perdu au milieu de la végétation, contre laquelle les bruits de l'extérieur venaient se briser. Un lieu hors du temps, où seuls se faisaient entendre le bruit de l'eau sur les rochers, et celui du vent dans les feuillages, qui se répondaient à l'infini dans un dialogue dont seule Mère Nature devait pouvoir percer le secret. C'était, de tout le parc, l'endroit le plus magique, le plus tranquille... et le plus isolé.

En voyant Baptiste commencer à se déshabiller dans la pâleur de la lune, je réalisai que je n'avais pas sur moi ce qu'il fallait pour cette baignade impromptue. Évidemment, lui devait avoir prévu un maillot de bain... Eh bien, visiblement pas : bientôt son short et son boxer allèrent rejoindre le reste de ses vêtements sur les cailloux !

Il me tournait le dos, et la lumière étrange qui baignait les lieux donnait à sa peau une teinte particulière, envoûtante, attirante. En plus, il avait un cul superbe, et ça ne gâchait rien. Je me déshabillai à mon tour, presque timidement, cachant d'une main pudique ce que personne n'était ici pour voir. Je m'avançai vers lui, me collai tendrement contre son dos, et je passai doucement mon bras autour de son torse.

- Il y a un dernier truc, auquel je n'avais pas pensé.

- C'est important ?

- Pour toi, je ne sais pas. Mais pour moi, oui.

- Alors je t'écoute.

Il ne bougea pas, mais prit une profonde inspiration. Je pouvais sentir l'air gonfler sa poitrine et emplir ses poumons.

- Mon père me voit comme son employé, ma mère comme sa bonne-à-tout-faire. Tes grands-parents ne se donnent même pas la peine de retenir mon prénom, même si je dois admettre que ta grand-mère essaie de faire des efforts. Ta mère m'ignore carrément. Pour eux, je fais partie des meubles...

- Je...

- Laisse-moi finir. Je ne t'appartiens pas, Romain. Pas plus qu'à eux. Je suis heureux d'être ton ami, mais je ne serai jamais ni ton jouet, ni ton esclave, ni ta chose. Si tu oublies ça, une seule fois, je m'en vais. Et si tu as pitié de moi ou de ma vie de merde, une seule fois, je m'en vais. C'est clair ?

Sa voix mâle, rauque, profonde, était à peine perceptible dans le murmure de la nature environnante. Mais j'avais compris chaque mot, chaque syllabe de ce qu'il venait de dire. Il ne pouvait imaginer à quel point je saisissais le sens profond de son mal-être ! Il m'arrivait parfois de ressentir quelque chose d'assez similaire. Sauf que moi... je vivais dans un château. Alors, pour la vie de merde, j'allais devoir repasser...

- Baptiste... ?

- Oui ?

- Je n'ai jamais eu pitié de toi, et je ne t'ai jamais considéré comme la propriété de qui que ce soit.

- D'accord.

- Baptiste... ?

- Oui ?

- C'est important pour moi, parce que c'est important pour toi.

Il prit ma main, la porta à ses lèvres pour y poser un baiser délicat, et me fit entrer dans l'eau avec lui. En dix secondes, j'en avais jusqu'au cou.

Les pierres au fond de l'eau étaient aussi lisses que les galets de la plage, et la sensation était plus agréable que dans mon souvenir. Mais on avait beau être en plein mois de juillet, elle était plutôt fraîche, la rivière ! Inconsciemment, alors que je sentais le froid m'envahir lentement, je me mis à trembler. Il se rapprocha de moi.

Baptiste (Souvenirs, tome I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant