S'enfuir

Chapitre 2: Parmi les fleurs

Le soleil s'extirpait doucement de la brume ce matin-là. Mon café dans une main et l'autre câlinant Opale, mon chat sphynx, j'émergeais d'une courte nuit en admirant paisiblement l'aube printanière. Depuis deux ans, j'habitais ce petit appartement que l'on aurait pu facilement comparé à un bocal à poisson rouge car on en faisait vite le tour. Mais il me suffisait. Livres, photos, peintures de toute sorte, mon gros canapé chiné et des meubles aux vies multiples remplissaient mon "bordel organisé". 

Voilà deux ans que je nichais dans ce curieux capharnaüm au dessus de mon lopin de paradis: mon magasin de fleurs. Mon quotidien se résumait aux fleurs. Je me levais aux aurores pour aller trouver les espèces les plus belles et les plus rares au marché, ensuite il fallait dorloter ce petit monde et enfin s'occuper des différentes commandes des clients. Je passais le clair de mon temps à penser et parler fleurs de 4h à 22h. Mes petits bébés avaient besoin de la plus grande attention ce que je m'efforçais de faire du mieux que je pouvais et elles me le rendaient bien. Tous mes clients me disaient que mes fleurs étaient d'une beauté époustouflante, presque surnaturelle. Fraîches, parfumées et aux couleurs vives elles faisaient leur effet sur tout ceux  qui posaient les yeux sur elles. 

J'avais ma petite notoriété et elle me suffisait amplement. J'aimais voir la tête des gens rentrer dans ma petite boutique d'à peine 20 m2 pleine à craquer de tulipes, orchidées, roses, fleurs des champs et espèces exotiques. Elles s'épanouissaient du sol au plafond et les clients tout à la fois interloqués et admiratifs s'écriaient le plus souvent: "Mais c'est la jungle ici!" 

Je riais, cachée derrière mon bureau. Les gens étaient dépaysés et cette remarque récurrente à donner le nom de mon magasin  "Wild Jungle". Mon bonheur se trouvait ici parmi les fleurs. 

Un léger sourire aux lèvres et mes écouteurs dans les oreilles, je sortais mon étalage de pivoines hors de la boutique pour attirer le client. Rose, rouge, blanche ou violette leur simple vue élargit considérablement mon sourire et je me mis à fredonner. 

"Stars shining bright above you. Night breeze seems to whisper I love you..."

Je rentrais chercher mon arrosoir et mon vaporisateur pour étancher leur soif tandis qu'une voiture s'arrêta sur le trottoir d'en face sans que j'y porte grand intérêt. 

"Bird singing in the sicomore tree. Dream a little dream of me...."

Improvisant quelques pas de danse au son de Ella Fitzgerald, je commençais à arroser les pivoines. La journée s'annonçait merveilleuse. Je sentis soudain une présence. Une ombre immense se projetait sur mon parterre végétal. Je me retournais dissimulant tant bien que mal un frisson du à cette surprise matinale et je croisais un regard électrisant. Je me figeais en contemplant ses iris bleues. D'où vient ce bleu? Je plongeais littéralement dans ses yeux dont le bleu profond m'hypnotisait. Pourquoi je me sentais comme cela? La chute de mon arrosoir et la sensation humide sur mon mollet me tirent de mon doux rêve. Je me penchais pour ramasser le pauvre récipient et essuyer le pan de mon jean. 

"Mademoiselle, comment vous nommez-vous s'il vous plaît?" 

Je me relevais d'un bond et mon coeur fit un raté. Voilà, je sais maintenant comment tout a commencé.