Chapitre³

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Karl

La paperasse de la Nation pouvait bien attendre.

Ce soir, l'Ancile prenait son envol. Enfin.

Après avoir vérifié les derniers réglages et demandé son opinion sur la météo à Albertine, la troisième Major, les deux adolescents avaient poussé leur avion hors de son hangar. Karl l'avait épousseté et chassé toute les araignées qui avaient pu y faire leur nid durant les années de réparation. L'engin qui étaient à présent totalement opérationnel, ne l'avais pas toujours été.

Le Polikarpov Po 2 était une vieille carcasse qu'ils avaient récupéré dans la montagne. Comme souvent depuis maintenant 19 ans, les avion avaient une tendance à s'écraser dans la région avec ou sans leur pilote. Ici, au village, on n'en parlait pas beaucoup et on tentait d'oublier quand ça se produisait. On enterrait les morts et découpait les carcasses d'avions. Point. La politique, ça n'apportait rien de bon.

Heureusement, Ancile avait échappé à ce traitement : l'avion s'était abîmé dans les pentes boisées prêt du Castel. Il n'y avait apparemment pas de pilote et la carcasse traînait là depuis quelques années lorsque les deux enfants étaient tombé dessus par hasard. Dans la cabine ne traînait qu'une bouteille de parfum, au flacon ciselé dans du verre rose, presque entièrement recouverte de mousse. Les deux gamins avaient dégagés l'avion avec l'aide de Camille, leur troisième acolyte, un enfant du village. Le père de l'enfant avait amené son cheval de trait et ensemble, ils avaient dégagés la carcasse de l'avion.

« Un Poliakov Po 2, mes chanceux, rien que ça. Parfait pour vous. C'est tout léger, un petit biplan parfait à rénover. » avait dit Mr. LeBach, le père de Camille.

Trois ans plus tard, Camille s'en irait pour allez naviguer sur les bateaux de guerre qui surveillaient et défendaient la Bande Sud. Et déclarerait en rentrant au village pour sa première permission que jamais il ne monterai dans un avion.

« C'est trop fragile. Une étincelle, une balle atteint le moteur et BOUM. Je préfère mourir les pieds sur le pont plutôt que dans ces cercueils volants, mes cocos.  »

Ce soir là, le ciel était clair. Il avait pris la teinte violette dont se pare les nuées après une journée trop chaude. Dans le lointain, on entendait le crissement tranquille des cigales heureuses. Charlie attacha ses cheveux et enfila sa paire de gants en cuir, un cadeau de Karl pour ses 15 ans. Elle prit un bidon d'essence dans la réserve et en versa une bonne rasade dans le réservoir du moteur. Karl l'observait du coin de l'œil et un frisson le parcouru. La jeune fille se redressa, balança le bidon vide dans le hangar et essuya sa paire de lunette sur le tissu bleu de sa chemise avant de les glisser dans la poche. Elle semblait tellement jeune, tellement sensible, tellement vivante et humaine. Ses fossettes de bébé se creusèrent, son sourcil droit taquina ses mèches rousses et elle fixa Karl avec ce sourire qui voulait dire « Cap ou pas cap ? »

Il enfila sa veste et tendit une paire de lunettes d'aviation à sa coéquipière.

-Ready ? demanda-t-il en prenant place dans l'avion.

-Plus. Que. Jamais, articula-t-elle en ajustant les verres ronds cerclé de cuir sur ses yeux bleus.

Elle ressemblait à un hibou paumé avec ces binocles.

Charlie sauta lestement derrière son ami et tira son bonnet en laine sur ses oreilles. Devant elle, Karl respira un bon coup et mit le moteur en marche. Il glissa ses lunettes en place et fit rugir le moteur. L'avion fit un bon en avant et retomba sur ses roues avant de glisser sur l'herbe verte de la prairie. Dans son dos, Karl sentit les petites mains fines de Charlie se serrer autour de sa taille.

Alice

Alice Vendague aurait pu être couronnée reine de la poisse. Queen of disaster. La balle en acier renforcée dans son ventre pouvait le confirmer en personne. Cette salope, coincée entre les replis de ses organes, ne l'avait même pas tué. Le vent rugit dans ses oreilles gelées et elle chassa ses cheveux qui lui collaient au visage. Elle balança son bras vers l'avant et s'accrocha de tout son poids au manche à balais du bombardier. L'énorme avion de guerre grinçait, balancé de toutes part par les vents froids des montagnes. Lorsqu'elle tira sur le levier mal graissé, l'avion remonta de quelques mètres. Elle jeta un coup d'œil à l'altimètre. Elle n'était qu'à cents mètres du sol et en dessous d'elle, la nuit camouflait tout. Si elle s'écrasait en territoires ennemis, elle avait une chance de survivre. Enfin, si l'avion ne prenait pas feu, ce qui était beaucoup trop optimiste.

Alice passa une main dans son dos et attrapa le pommeau de son sabre. La lame tachée lança un éclair dans la pénombre noir des nuages.

Un énorme « clang » perça le bourdonnement du moteur et celui-ci cessa de tourner. Définitivement. La chute libre était maintenant obligatoire.

L'avion remplit de bombes se précipitait à présent droit vers la terre.

Subitement, elle était vouée à sauter. C'était ça ou... Non, il n'y avait pas d'alternatives.

Alice serra les sangles du parachute qui lui écrasait le dos et prit une longue inspiration. Ses poumons la brûlèrent comme jamais. Elle bloqua le manche à balais avec son sabre, pour que l'avion remonte de quelques mètres supplémentaires.

Ce sabre allait encore une fois lui sauver la vie.

Ses mains tremblaient comme deux colombes gelées. Elle s'avança vers l'ouverture arrachée du bombardier. Laissa tomber son regard vers la terre sombre. C'est ta seule voie de sortie. Le vent violent lui sécha les yeux en une seconde. Au loin, le soleil lançait ses dernières lueurs vers les montagnes noires. Elle poussa l'horreur un peu plus et laissa son pied pendre dans le souffle froid. Légèrement, elle fit un pas de plus dans le vide. Un entrechat mortel.

Tu n'as plus rien à perdre. Bats toi pour les autres, bats toi pour tous ceux qui n'ont même pas pu voir l'aube une dernière fois. Tout est maintenant possible.

Charlie

Son nez ne nicha dans le cou de Karl alors que les roues de l'avion quittaient la terre. Elle n'aurait pas pus être plus heureuse qu'en ce moment même.

Le calme de la nuit d'été fut alors brisé par ce sifflement strident. Ce sifflement que tout les habitants de la vallée savaient reconnaître. Un Perdu. Un Dériveur. Un avion qui tombait du ciel. Le hasard qui leur balançait encore la mort.

Charlie leva les yeux, fronça des sourcils , secoua sa tête et vit cette énorme masse sombre qui coulait vers le sol. L'avion semblait énorme et lent, lourd... Au ralentit, elle passa sa main sur l'épaule de Karl et lui enfonça les doigts dans le biceps. Très fort. Elle sentit ses ongles se planter dans le cuir abîmé. Elle hurla longtemps son nom, alors que l'énorme boule de métal et d'acier déchirait les nuages pâles, se précipitant droit devant eux. Karl coupa le moteur et tira sur le déclencheur des parachutes de secours. Derrière le petit Poliakov, les deux parachutes se gonflèrent comme des méduses. L'avion fit un sursaut vers l'arrière et Charlie reçu le coude de Karl en plein dans les dents. Elle sentit le goût métallique du sang lui emplir la bouche alors que l'énorme bombe volante s'aplatissait au sol. Une motte de terre bondit sur les pales tranchantes du Poliakov et une pluie de caillou et d'herbe finirent leurs courses dans les cheveux des deux jeunes. Les flammes jaillirent de la carcasse métallique explosée dans l'énorme cratère et illuminèrent la nuit.

L'Ancile ne s'était arrêté qu'à 20 mètres du brasier. 

Onyx Ⅰ - NémésisWhere stories live. Discover now