9 # Eyes wide shut

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Plus j'ai vieilli et plus je me suis rendu compte que ma démarche chaotique (si vous visualisez le pingouin de Gotham, vous avez tout bon !), que d'être accroché en permanence à une personne pour marcher « comme tout le monde », ne faisaient que semer les graines d'arbres à regards hostiles. Combien de fois des gens se sont écartés de mon chemin plus par peur que par politesse. La peur de l'inconnu, la peur de l'anormal, c'est le moteur le plus polluant au monde. Mais au fond, je ne peux pas totalement jeter la pierre à ces gens-là (ni à Pierre d'ailleurs Thérèse). Tout ça est une question d'éducation. L'ouverture d'esprit, ce n'est pas dans les gènes, ça s'apprend et ça s'inculque. Et il y a des gens qui ont pas mal de retard à ce niveau-là.

Le problème est que le jour où, malgré la carapace que vous vous êtes forgé, vous passez devant une mère et sa fille d'environ six ans et que celle-ci, bouche béante comme un anus après un passage à la Fistinière, masque les yeux de son enfant avec ses deux mains en susurrant un « seigneur Dieu » digne de Monsieur Esclave, vous ne pouvez pas rester de marbre. Ce jour-là, la colère a jailli comme d'un volcan, et je l'ai insultée de tous les noms. Je regrette de m'être emporté, car je ne suis pas comme ça, et je ne tiens pas à le devenir. Il faut accepter qu'en ce bas monde, il y a des gens dont l'horizon se limite à la portée de leurs bras et d'autres qui voient là où les yeux ne suffisent plus.

Je ne vais pas faire du cas par cas sur les situations que j'ai vécues, mais je vais plutôt parler de manière globale. Il y a quelque chose qui revient toujours, ce sont les yeux ronds. Grands ouverts, comme s'ils dévoraient tout. Je ne vais pas aborder le sujet des enfants, car pour eux c'est beaucoup plus complexe et positif, et le sujet « parler du handicap aux enfants » mérite une confession à lui seul. Seulement, pour les adultes, c'est vite vu.

Il y a plusieurs catégories. La plus « normale », c'est celle de ceux qui vous regardent curieusement un bref instant et retournent vaquer à leur univers, soit parce qu'ils s'en foutent, soit parce qu'ils n'osent pas vous aborder. Rien à dire là-dessus. Il y a ceux qui ne sont pas effrayés par le handicap et qui vont plus ou moins directement vous demander le pourquoi du comment. Pour ces gens là, en général ils le font avec des pincettes, et il est très facile de voir si c'est de la curiosité malsaine ou pas. Par contre, s'il y a de la pitié, ça devient très dérangeant, personnellement j'abhorre ça.

Et puis il y a les huîtres. Ces personnes n'imaginent pas qu'il puisse exister une autre façon de vivre que la leur. Ils sont la perle de médiocrité intellectuelle enfermée dans une coquille façonnée par la peur de ce qui n'est pas soi. Comme je le disais plus haut, on n'est pas comme ça de base, on le devient. Ou plutôt, on le reste. S'éveiller au monde, ouvrir son esprit, c'est quelque chose qui demande de l'éducation et du travail. C'est exactement comme planter un arbre : la graine ne va pas devenir ce qu'elle doit devenir en un clin d'œil, il va falloir la choyer pendant une longue période.

Ces êtres « humains » qui ont les yeux exorbités sont en réalité plus à plaindre qu'autre chose. Et dans un sens, cela m'arrange de les repérer : c'est comme un tri automatique, et ils le font pour moi. Ce ne sont que des globes oculaires prêts à exploser tellement ils grossissent quand je suis en approche. Des yeux grand ouverts qui transmettent des images a un esprit complètement fermé, un esprit incapable de les comprendre, de saisir ce qu'il y a sur le fauteuil et pas seulement le fauteuil. Des yeux grand fermés.

Jusqu'au moment où je me suis assis dans mon fauteuil électrique, j'oscillais entre deux mondes : celui des gens normaux et celui des handicapés. Je me considérais beaucoup plus dans le premier et voulais vraiment en être, je désirais réellement être accepté en tant qu'être humain lambda. Tout ça à cause de ses yeux grand fermés qui n'offrent comme perspectives que des vies mornes, ternes, aussi chiantes qu'un téléfilm diffusé en après-midi de semaine. C'est à ce moment-là que je me dis que j'ai eu la chance d'avoir rencontré des gens qui ont fait exploser les limites de mon esprit, et c'est maintenant à mon tour d'en faire de même.

Car au départ, les confessions infirmes que vous êtes en train de lire n'avaient pas du tout la forme qu'elles ont actuellement. Il y a presque deux ans, nous délirions un ami et moi sur mon handicap, en faisant des blagues un peu moisies. Mais un jeu de mots est ressorti de tout ce marasme alcoolisé : les confessions infirmes. Sur le coup, ça nous a vraiment fait marrer. Et après est venu l'idée d'en faire une série de petites vidéos à la Cyprien, car mon ami en question travaille grosso modo dans le cinéma, côté réalisation. On a bossé sur quelques scénarios, mais j'étais de plus en plus réticent à concrétiser ce projet, pour la simple et bonne raison que je ne me voyais pas m'exposer visuellement, surtout dans des situations qui relèvent de l'intimité. J'avais peur des yeux grand fermés.

Malgré cette peur, j'ai en grandissant développé l'envie de me différencier. Vous allez me dire, « il en avait pas vraiment besoin ». C'est pas faux. Mais comme je ne me considérais pas comme un handicapé à part entière (et ce n'est d'ailleurs toujours pas le cas, je me considère avant tout comme un esprit), je ne voulais pas me dissocier grâce ou à cause de ça. Et maintenant, à l'aube de mes 30 ans, je m'assume complètement, dans l'entièreté de ce que je suis, la facette de l'handicapé incluse.

Au final, les confessions infirmes telles qu'elles sont aujourd'hui me conviennent tout à fait : c'est un projet que je conduis en solo, dont je suis le seul maître et qui avancera comme je voudrais qu'il avance. Il ne répond à aucune exigence, si ce n'est celle de faire ouvrir les yeux à tous ces gens qui sont malheureusement pour eux et pour moi victimes du grand tabou sur le handicap. Le handicap, ce n'est pas que le téléthon (allez, tout le monde debout... là-bas...). C'est quelque chose qui existe partout et qui existera toujours. J'ai envie de dire à ces gens qui regardent sans voir qu'il y a d'autres mondes que le leur. C'est un travail de très longue haleine, qui verse dans l'utopie, mais que je suis prêt à mener et que je mène déjà grâce à l'écriture.

Il y a du travail en perspective...

Pour conclure, je citerai les mots d'Anne-Claire Damaggio, une autiste Asperger qui était passée dans l'émission « Salut les Terriens » en 2012 :

« La normalité n'est pas le summum de ce qui peut s'attendre. »

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Confessions InfirmesWhere stories live. Discover now