Fuite

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Me voilà au pied du bâtiment, le visage inondé par les goutes qui déferlent de mon front. Je m'essuie la racine de mes cheveux aussi élégamment qu'un joueur de football après quatre-vingt-dix minutes de match. Je me retourne sur cette vieille bâtisse pour applaudir une fois de plus mon exploit surréaliste. Je suis parvenue à bout de cette interminable façade. Pour me rassurer, je comptais les étages que je descendais au fur et à mesure que les fenêtres défilaient devant moi.

Parfois je passais devant des fenêtres donnant lieu sur des chambres de petits hommes âgés qui, lorsqu'ils me voyaient jouer à Spiderman sur le mur extérieur, meuglaient si fort que même les ours polaires les entendaient. J'ai également aperçu des enfants jouer dans une salle remplie de petites voitures et de jeux d'éveil, probablement une salle dédiée à les occuper sans qu'ils braillent comme des oies. Certains d'entre eux me remarquèrent et me pointèrent du doigt afin d'attirer l'attention de leurs camarades, par chance aucun adulte n'était présent à ce moment-là. Pour faire court, mon évasion s'est faite dans une furtivité parfaite. J'ignorais que j'avais été ninja dans une vie antérieure.

Il m'arrivait de glisser et de peiner pour me rattraper. Dès que mon pied tombait dans le vide je sentais mon cœur me lâcher, la sensation était similaire mais beaucoup plus intense à celle que procure l'escalade en EPS pour les gens phobiques de la hauteur. Je remercie l'architecte de ne pas s'être contenté d'un simple mur plat et d'avoir travaillé quelques détails sur lesquels j'ai pu prendre appui pour me rattraper et pour descendre sans trop de difficulté, si ce n'est que ces vilains vertiges qui me criaient que j'allais tomber et m'écraser au sol tel une mouche fait « splash » sur le pare-brise d'une voiture roulant sur autoroute. Je ne me croyais pas dotée d'une telle agilité.

Je dois désormais sortir de ce parking avant que quelqu'un publie des avis de recherches avec ma tête en gros plan. C'est peut-être trop tard, peut-être que les flics tournent actuellement dans toutes les rues de la ville et qu'ils défoncent les portes de chaque maison restant close. Je deviens paranoïaque, je ne suis qu'une jeune femme dans la peau d'une autre jeune femme, censée ne pas exister, qui s'est enfuie de sa chambre d'hôpital à plus de vingt mètres de haut. Hormis cela tout est complètement normal.

Tandis que je me déplace aussi rapidement qu'une hyène affamée hors de ce parking, une voix résonne dans l'air de cette ville étrangère. Je distingue vaguement ce que cette voix hurle et répète toutes les deux secondes : « Elisa ! ». Je saute me cacher derrière la voiture la plus proche. Je me relève que très légèrement afin de ne faire dépasser que mes yeux de la vitre côté conducteur à travers laquelle j'aperçois un homme balayer les horizons du haut de mon échappatoire. Ses yeux gris sont repérables à une dizaine de kilomètres. Shayne... Un étrange sentiment de culpabilité me traverse un instant, remplacé aussitôt par l'adrénaline dont ma fuite périlleuse est responsable. Je pourrais courir le marathon de New York sans même m'épuiser.

La voie est maintenant libre, je peux reprendre cette course vers la liberté. Le plus dur est déjà fait, je n'ai plus qu'à m'éloigner loin d'ici, mais pour aller où ? J'ignore où je me trouve, je n'ai jamais vu ce lieu. Ce n'est pas bien grave, je n'ai qu'à avancer jusqu'à tomber sur une âme charitable qui voudra bien m'aider et m'héberger pour la nuit.

Cela doit bien faire une demi-heure que j'erre sans but dans les rues de cette ville encore inconnue. Je ne l'ai jamais vu en vrai mais je suis certaine de connaître cet endroit. Lorsque j'étais devant l'hôpital, elle ne me disait rien mais plus j'avançais plus je me rendis compte de son importante densité urbaine, les trottoirs étaient quatre fois plus envahis de touristes que la capitale française, certains prenaient des photos de tout et de rien, c'est à peine si un cheeseburger les fascinait... J'étais dans une métropole, mais laquelle ?

Je compris assez vite lorsque je vis cet immense gratte-ciel finissant en une gigantesque pointe pouvant presque embrocher toute la population de la ville. Je me sentais ridiculement petite à côté de cette masse qui s'élevait presque à en toucher les nuages. Ce bâtiment, si je peux l'appeler de la sorte vu sa taille, est mondialement connu. Ce n'est autre que l'Empire State Building ! Je suis donc à... J'ai toujours rêvé d'aller à New York ! Je vis donc réellement la vie d'Elisa qui est américaine, plus précisément une new yorkaise.

Comment cela a-t-il pu se produire ? Peut-être que je suis réellement dans un film et que j'en suis l'actrice principale. Je tourne plusieurs fois sur moi-même à la recherche d'une quelconque caméra. Je repère un homme aux origines asiatiques pointer son portable dans ma direction. J'accoure vers lui et lui demande pour quelle raison il me filme. Dans une incompréhension facilement perceptible l'homme se mit à me parler en japonais. Je n'y comprenais rien mais faisais semblant de m'excuser. Il m'a même montré ce qu'il visait. En réalité il était intéressé par ce Fast Food devant lequel j'étais restée plantée pendant cinq bonnes minutes. Comme je vous l'ai dit, les touristes s'intéressent à tout et à rien.

Je reprends ma route, toujours à la recherche de... ma maison je suppose ? Enfin, je cherche avant tout un lieu où dormir afin de planifier mon retour sur Paris. C'est tout naturellement que je m'éloigne de cette agglomération semblable à un labyrinthe géant dans lequel tout le monde s'y retrouve plus ou moins facilement. Certains passants avaient le nez plongé dans un plan de la ville et se criaient dessus car leurs sens d'orientation divergeaient, d'autres buvaient leur café journalier sur une terrasse accompagnés de leurs collègues de bureau. Plusieurs fois des inconnus m'ont interrompu dans ma quête au refuge afin de me demander une direction. Aussi étonnant qu'il soit, j'ai su leur répondre d'une manière claire, nette et précise. Je n'ai jamais mis les pieds à New York pourtant.

Sur le chemin j'entends mon nouveau téléphone sonner à répétition. Ce doit être Shayne et la tribu des étrangers qui cherchent à ce que je me rende. Qu'ils rêvent ! De plus, je suis certaine que s'ils me retrouvent ils m'enfermeront dans un asile psychiatrique pour dédoublement de personnalité et délit de fuite. Il est hors de question que je mette les pieds dans un lieu aussi morbide où les gens sont nourris de sédatifs et de cachets.

Au bout de ce qui me paraît être une éternité, j'arrive devant une maison, non un palace à en juger la splendeur de celle-ci. Je me trouve face à une large allée en gravier dans laquelle peuvent se garer plusieurs voitures, voire même des limousines. Au centre de celle-ci se trouvent des plantations formant un rond-point. De part et d'autre de cette allée, des garages sont installés. Combien ce foyer détient de voitures exactement ? Au moins quatre je dirai. Je m'avance vers la maison comme si j'avais toujours vécu ici. En appuyant sur la poignée, ma gorge se sèche et ma salive se bloque au fond de celle-ci. Je suis en train de pénétrer dans l'intimité d'un inconnu, pourtant cette idée ne parvient pas à me faire reculer. La porte est fermée. Mon corps se décontracte et ma salive glisse de nouveau correctement. Je mets mes mains dans les poches de ma veste en cuir, attendant le messie devant cette porte en bois massif. De mes petits doigts fins, je triture un métal froid. Je le sors et, atteinte d'une grande folie, j'insère les clés dans la serrure. Comme si c'étaient les bonn... Stupéfaite que la porte s'ouvre, j'entre prudemment.

L'intérieur est très classe et moderne. Je visite pièce après pièce. Je suis seule, la maison est déserte. J'entre dans l'un des garages et y trouve une Porsche grise. Magnifique. Je m'approche de ce bijou et caresse du bout de mes doigts sa carrosserie.

Je monte à l'étage pour y découvrir ce qu'il me reste à voir. Une chambre ouverte m'attire plus que les autres. Trois couleurs envahissent principalement l'espace : le rouge, le gris et le blanc. Un grand lit dans lequel quatre personnes pourraient y dormir est placé tout près de la porte. Deux tables de chevets blanches l'accompagnent et en face de celui-ci se trouve un grand meuble sur lequel est posé un écran plasma de haute qualité. Je me place devant la coiffeuse en apercevant plusieurs clichés : Elisa et Shayne, Elisa et des personnes inconnues, Elisa et certaines des personnes qui étaient à l'hôpital, probablement des membres de sa famille. Je suis chez elle et j'ai su m'y rendre sans le savoir. Je détache l'une des photos avec Shayne afin d'examiner de plus près ce bellâtre lorsque j'entends la porte du rez-de-chaussée claquer.

- Elle est forcément revenue ici.

My Perfect LifeOn viuen les histories. Descobreix ara