Souffle court

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Ma foulée battant le tapis de feuilles étendu sur le sol depuis bientôt quatre heures commençait à ralentir. Je décide de m'arrêter afin de souffler une petite minute. Mes pieds se figent sur le sol, et mes oreilles alors habituées aux bruits de mes pas reçoivent d'un seul coup un profond silence. Je m'appuie contre le tronc d'arbre à mes côtés et je ferme les yeux accueillant avec joie cet instant de tranquillité.

Je suis exténuée, j'ai faim, et je suis sale, très sale : mes habits sont recouverts de sang séché tout comme la peau de mes bras ainsi que mes lames de couteaux que je n'ai pas eu le temps de laver. Cela fait désormais deux semaines, que je parcourais le plus grand des territoires mais aussi le plus dangereux : celui proche des félins. J'ai échappé cinq fois à ces loups mais désormais j'ai un problème plus grave en plus des loups : j'ai maintenant les félins à mes trousses, il fallait si attendre aussi, mais je ne pensais pas qu'ils allaient se rallier aux loups aussi vite. Un sourire apparut sur mes lèvres, j'étais une menace pour eux, une grande en plus de ça, et mon ego en était extrêmement satisfait de ce constat.

Mes muscles sont de plus en plus engourdis au fil des jours, le manque de nourriture devient lui aussi pesant, mais je tiens bon enfin du moins mentalement car mon corps crie d'épuisement. Cependant je ne peux plus rester une journée au même endroit, je dors deux à trois heures par nuit pas plus.

Je devrais m'éloigner, me ressourcer et revenir mais je n'ai jamais été comme ça : renoncer à quelque chose n'était pas dans ma nature. Alors certes je suis en train de pousser mon corps à bout mais l'envie de les voir tous mourir est si présente que je n'arrive pas à battre en retraite même le temps de quelques jours. Cependant ma haine envers ces loups et ces félins a été accompagnée ces derniers jours, d'émotions que je n'avais pas ressenties depuis longtemps. Elles reviennent s'immiscer en moi notamment la culpabilité, et le chagrin. Des émotions que j'ai toujours gardé sous clé. Le plus troublant est lorsque je tue un loup, de loin ou comme au corps-à-corps, quand il perd la vie un hurlement s'infiltre en moi jusqu'à m'en déchirer les entrailles, si puissant que j'en perds mon souffle à chaque fois. J'ai tant besoin de réponses, j'ai le sentiment que ma vengeance devient inutile et que je faiblis.

Les sens toujours en alerte je sors de mes pensées et je décide d'arrêter ma courte pause, je ne suis pas en lieu sûr, la parano depuis que cette voix s'est immiscée en moi ne me quitte plus. Je souffle un grand coup, et j'essaye de mettre de côté ma fatigue, ma soif, ma faim, ma puanteur et je me redresse, je dégourdis légèrement mes jambes, puis je m'élance à nouveau. Au bout d'une trentaine de kilomètres, je m'arrête sur les bords d'un étang, je dois essayer à nouveau de communiquer, il le faut. Je dois savoir si la voix que j'avais entendue était réelle. L'eau n'est en aucun cas translucide mais plutôt boueux et de couleur vert olive. Je défis mon équipement et gardais toujours mon couteau sur moi. Je m'approche du bord jusqu'à ce que mes pieds touchent le sol terreux, j'avance, pas-à-pas malgré le dégoût que cela me provoque.

Arrivé à la taille, je sens mon bras où mon tatouage est positionné, brûler, si vivement que je le plonge dans l'eau, une douleur s'infiltre en moi et un cri surhumain sort de ma bouche. Mon corps bouillonne, mon crâne siffle, je sens des vagues se créer autour de moi, elles me fouettent. Incapable de bouger par la douleur, mes yeux se ferment de plus en plus, un vide s'insinue en moi, une durée indéterminée s'écoule mais je me sens petit à petit revenir, j'ose ouvrir un œil puis un second. La douleur s'estompe. L'endroit où je me trouve ne m'est pas inconnu mais en aucun cas j'aurai dû me trouver ici. Le lac, là où la voix était venue à moi, ce lac d'une beauté translucide, j'y étais à nouveau. Le doute s'infiltre en moi, comment est-ce possible ?

Plus je regarde les environs plus une chose flagrante explose en moi, je ne suis pas au lac de la dernière fois mais bien encore dans l'étang qui juste avant que je ne ferme les yeux était boueux et d'une couleur olive. Mon équipement au lieu de se retrouver sur la terre se retrouve sur du sable fin, l'eau qui m'entoure est désormais d'un bleu clair. Une mélodie s'enfonce en moi et me pousse à avancer vers le milieu de l'étang comme un chant de sirène, j'avance l'esprit troublé, puis je plonge et m'enfonce dans la profondeur de l'étang comme la dernière fois. Mes mains frôlent le sol sableux, je me retourne et me met en position assise, je bloque ma respiration une fois mes battements de cœur calmés. Une force grandit en moi et j'ouvre les yeux, le flou de l'eau ne m'empêche pas de distinguer la couleur de mon tatouage qui désormais est d'un rose pâle lumineux. Bien que sous l'eau, une sorte de souffle s'enroule autour de moi, mes yeux se ferment et je me retrouve à nouveau dans cet espace noir, une silhouette en face de moi, le chant recommence, je me concentre, il devient des murmures, puis des paroles « Ouvre-toi, laisse la bête en toi, arrête de t'acharner, laisse ton félin te guider, ouvre ton esprit, cache la colère en toi, ton tatouage t'aidera ».

ChasseuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant