Chapitre 2 - Service du réveil

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VALÉRIAN

Je me réveille trois minutes avant l'alarme.

5h42.

Ce n'est pas un exploit. C'est une habitude. Une mécanique bien huilée. Je n'ai jamais supporté d'être surpris par le bruit. Les réveils stridents, les sursauts brutaux, très peu pour moi. Mon corps anticipe, il obéit. C'est rassurant.

J'ouvre les yeux dans l'obscurité encore bleutée de la chambre. Les contours familiers m'accueillent sans fracas : les lignes épurées de la tête de lit, la tablette au bois sombre, la lumière douce de la ville filtrée à travers les rideaux. Tout est à sa place. Le désordre ne m'attend pas. Il ne m'attend jamais.

Je me redresse en silence, pose les pieds sur le parquet, légèrement froid sous la plante. Cette sensation, je l'aime. Elle me rappelle que le monde est bien réel, concret, prévisible.

Chaque matin, tout commence par le même ballet : les pas vers la salle de bain, la lumière qui s'allume graduellement, sans agression. Elle m'éclaire sans m'imposer sa présence. L'eau de la douche coule déjà, réglée à la température exacte : 37 degrés. Pas une de plus, pas une de moins. Un détail qui compte, parce que les détails, au fond, c'est ce qui sépare l'acceptable de l'excellent. Le savon est neutre, sans parfum. Je n'aime pas sentir autre chose que le propre. Je veux pouvoir traverser la journée sans qu'un effluve ne m'accompagne malgré moi. Ce serait une intrusion. Un parfum, c'est personnel.

Je me rase, bien que ce ne soit pas indispensable. Ma barbe pousse lentement, mais je ne tolère pas la moindre ombre sur ma peau. La lame glisse avec méthode, presque avec respect. Je connais chaque angle de mon visage. Je sais comment il évolue. Je guette les signes, les tensions, les failles. Il n'y en a pas aujourd'hui. Tant mieux.

Ensuite vient le moment du dressing. Ma pièce préférée. Peut-être la seule qui trahit quelque chose de moi. Une forme de plaisir, de fierté muette.

Quand j'en pousse la porte, je ressens un calme particulier. Là, enfin, je suis maître. Les chemises, soigneusement repassées à l'anglaise, sont suspendues selon un ordre chromatique que personne n'a jamais perturbé. Blanc, ivoire, bleu pâle, bleu acier, gris. À chaque teinte son humeur, à chaque texture son rôle. Les costumes suivent, impeccables : marine, anthracite, noir. Des coupes précises, sculptées selon mes mesures, ajustées au millimètre.

Aujourd'hui, j'opte pour un costume gris clair. Sobre, mais pas terne. Cravate bleu nuit, chemise blanche à col rigide. Les manchettes claquent légèrement sous mes doigts. J'aime leur fermeté. Leur résistance discrète. Je m'habille lentement, sans précipitation. Chaque bouton, chaque repli, chaque mouvement est contrôlé. Il n'y a pas de panique dans le matin. Il n'y en a jamais.

Le miroir me renvoie mon image : 1m85, silhouette élancée, tenue droite sans raideur. Mon torse reste ferme, tonique. J'entretiens mon corps par respect. Pour moi, d'abord. Pas pour séduire. Pas pour l'image. Il s'agit de constance, de discipline.

Mes cheveux, brun cendré, lissés en arrière, tiennent encore la forme de leur dernière coupe. Trois semaines exactement. Je prends rendez-vous à l'avance. Je déteste les imprévus. L'idée d'un épi désordonné me mettrait presque mal à l'aise. C'est idiot, j'en ai conscience. Mais ça ne change rien.

Je saisis ma montre, une Patek Philippe héritée de mon grand-père. Elle est sobre, légèrement vieillie mais entretenue. Elle n'est pas tape-à-l'œil et ne crie pas son prix. Elle parle d'histoire, de poids, de lignées. J'ignore si cela me touche vraiment, mais je la mets chaque matin.

Puis je quitte la chambre, direction la cuisine. Là aussi, rien ne dépasse. Pas de mugs colorés, pas de souvenirs de voyage punaisés au frigo. Ce n'est pas de la froideur. C'est juste un besoin de respirer, de n'être entouré que par ce que j'ai choisi.

Check-in, Checkmate [MxM]Where stories live. Discover now