Chapitre Trente-six

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— Mon oncle, je regrette mon attitude. Je me suis comportée comme une sotte. J'en ai pris conscience et je vais changer. J'avais des scrupules mais je me rends compte maintenant à quel point c'est absurde. Après tout, le chat mange l'oiseau, l'oiseau mange l'insecte et l'insecte mange... euh, je ne sais pas... ce qu'il peut... d'autres insectes, peut-être. Le fort mange le faible, cela fait partie de la nature et c'est parfaitement normal. Peut-on reprocher au loup de dévorer la brebis  ? Non, je ne le crois pas. De son côté, le loup n'a aucun reproche à faire à la brebis, il ne lui veut pas de mal, tout ce dont il a besoin, c'est de manger. Le loup n'est pas méchant. Moi non plus, je ne suis pas méchante. Et il n'y a aucun mal à ce que je me nourrisse. Nous pourrions même le faire ensemble, vous et moi, mon oncle. Ce serait un peu comme partager un bon repas. Si vous voulez bien m'inviter à votre table, ce serait avec grand plaisir. Alors s'il vous plaît, ouvrez-moi  !

De l'autre côté de la porte, Priscille entend les gémissements de Capucine.

Mais aucune réponse du comte.

— Mon oncle  ? Pourquoi ne répondez-vous pas  ? Peut-être que je vous dérange en plein repas. J'en suis désolée. Mais si vous voulez bien me laisser entrer, je ne vous ennuierai pas. Vous n'aurez plus à vous plaindre de moi, je vous le garantis. Je vous assure que j'ai réellement compris, cette fois-ci. Je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour moi. Je vous remercie pour cette servante que vous avez pris la peine de me confier. Désormais, je saurai en profiter, je vous le promets  !

Toujours pas de réponse.

— Mon oncle  ! J'ai faim  ! S'il vous plaît  ! Je ne serai pas gourmande, il m'en faut juste un petit peu. Juste un petit peu, je vous en prie  ! Vous pourrez continuer à lui faire du mal autant que vous voulez, je me tiendrai juste à côté et je me contenterai de grapiller vos restes. Maintenant, ouvrez-moi, s'il vous plaît, je n'en peux plus  !

Perdant patience, elle se met à tambouriner la porte et hurle  :

— Laissez-moi entrer  ! Vous n'avez pas le droit de faire ça  ! J'ai faim, vous m'entendez  !? C'est ma servante  ! À moi  ! Vous me l'aviez donnée  ! Vous n'avez pas le droit de me la prendre  !!

Mais rien n'y fait : le comte reste muet.

Et les gémissements de Capucine, eux, se changent en hurlements.

Fiévreuse et tremblante, Priscille ne peut que tambouriner encore et encore, mais la porte est solide.

— Monstre  ! Vous êtes un monstre  ! Pourquoi faites-vous ça  ?! Laissez-moi entrer  !!

Finalement, à bout de souffle, les poings ensanglantés à force d'avoir frappé, la princesse ne peut qu'éclater en sanglots et tombe à genou misérablement.

Contre la porte en bois, elle perçoit alors des effluves onctueux qui s'exfiltrent à travers les interstices. C'est un léger parfum qui lui procure un effet ennivrant, comme pourrait le faire une odeur d'essence ou de colle.

La souffrance de Capucine  : c'est d'elle que proviennent ces délicieuses exhalaisons.

Priscille se colle contre la porte et essaie d'inspirer le plus fort possible pour en profiter au maximum. Alors que les hurlements de la servante redoublent d'intensité, elle parvient à aspirer suffisamment de son énergie qui se répand dans l'atmosphère pour être momentanément apaisée.

Ça devrait pouvoir l'aider à tenir le coup. Mais pour combien de temps encore  ?


MornglassWhere stories live. Discover now