Chapitre Vingt-six

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La princesse Priscille se sent lentement dépérir. Allongée sur son lit, dans la chambre de son palais mobile, elle a demandé qu'on ne la dérange pas. Elle souffre le martyre. Qu'il lui serait facile pourtant de se soulager. Il lui suffirait de faire venir sa servante, de lui demander de s'approcher, en lui souriant pour qu'elle ne se méfie pas, puis elle sortirait son couteau et la frapperait par surprise. D'une main elle la maintiendrait collée contre elle tandis que de l'autre elle plongerait le couteau dans sa chair, encore et encore. Elle sentirait couler son sang, elle lirait l'effroi dans ses yeux et assisterait à sa lente agonie. Quel délice ce serait ! À d'autres moments, elle s'imagine en train de l'étrangler. Elle aimerait savoir quel effet ça fait de sentir ses propres mains se refermer sur ce cou innocent. La mort ne viendrait pas tout de suite ; elle aurait bien le temps d'en profiter. Mais le mieux, ce serait encore d'attacher sa victime. Ainsi, elle aurait tout le loisir de tester sur elle ces différentes méthodes, l'une après l'autre. Elle pourrait aussi utiliser la flamme d'une bougie, planter une fourchette dans sa cuisse ou encore lui lacérer la poitrine.

Il faut qu'elle arrête de penser à tout ça.

Peut-être a-t-elle tort de se retenir. Peut-être que si elle se contentait de lui faire un tout petit peu mal de temps en temps, ses pulsions deviendraient alors supportables. Tandis que là, ça devient tellement difficile qu'elle a peur de craquer et de se livrer à un véritable carnage.

Vivement que la guerre commence.

Elle espère que tout ce sang versé suffira à l'apaiser. Elle veut être en première ligne pour voir ça. Elle pourra toujours se consoler en se disant qu'elle n'est pas responsable, que ce n'est pas elle qui a voulu cette guerre. Si le mal doit être fait, autant qu'il profite à quelqu'un.

Une fois les combats terminés, elle espère qu'il y aura beaucoup de prisonniers à punir pour avoir osé se dresser contre les armées du comte. Elle imagine déjà des centaines de crucifiés, des centaines de victimes innocentes s'alignant sur des kilomètres et des kilomètres. Une vision sublime qui lui procure de délicieux frissons.

— Maîtresse...

La servante vient de faire son entrée. Priscille réagit violemment :

— J'avais ordonné qu'on ne me dérange pas !

— Pardonnez-moi, Princesse ! répond la servante d'une voix tremblante. C'est Son Excellence qui m'envoie. Il m'a dit de vous dire : « faites ce que vous avez à faire ». Si vous ne le faites pas, m'a-t-il dit, c'est moi qui serai sévèrement punie. Je ne sais pas de quoi il s'agit, Princesse, poursuit la malheureuse en sanglotant. J'ignore quelle est cette chose que vous avez à faire mais je vous en prie : faites-le, car Son Excellence est très en colère. J'ai peur, Princesse, je ne comprends pas et j'ai peur...

Priscille se sent soudain prise de pitié pour cette pauvre fille qui n'a rien demandé à personne, qui ignore tout de ce qui se passe et qui risque sa vie à cause d'elle. Elle voudrait la consoler, la rassurer, mais en est-elle capable ? Elle se lève et la prend dans ses bras. Étrangement, ce geste la soulage. Elle comprend alors que c'est la peur de cette fille qui lui fait du bien. La malheureuse est terrorisée ! Alors qu'elle tremble et sanglote entre ses bras, Priscille sent sa peur se déverser en elle telle une énergie bienfaisante. Se pourrait-il que cela suffise à la satisfaire ? Se pourrait-il qu'elle n'ait nul besoin de lui faire du mal mais seulement de lui faire peur ? Cela pourrait arranger pas mal de choses : faire peur aux gens, même si ça reste affeux, c'est tout de même moins grave que de leur faire vraiment du mal.

Malheureusement, son soulagement est de courte durée. Car la source est en train de se tarir : dans les bras de la princesse, la servante finit par être rassurée. Et sa peur disparaît.

Priscille s'éloigne de quelques pas pour réfléchir.

Quand elle se retourne, c'est avec à la main un couteau, à la lame acérée et étincelante.

D'un air menaçant, elle s'avance.

— Tu as de nouveau peur, n'est-ce pas ? C'est bien. Tu as raison...

La servante recule. Dans ses yeux peuvent se lire l'effroi et l'incompréhension.

Un sourire dément sur les lèvres, Priscille approche lentement, jusqu'à bloquer sa victime dans un coin de la chambre.

— Maintenant je vais faire ce que j'ai à faire...

MornglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant