Chapitre 14

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28 août 2015

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28 août 2015

Je me réveille brutalement et me redresse sur le matelas. Je pose la main sur mon cœur comme si elle avait le don de le calmer. Connerie. Je me tourne et croise le regard inquiet de Joan.
- Ne t'inquiète pas, juste un mauvais cauchemar.
Enfin si on peut utiliser ce terme lorsqu'il s'agit d'être attachée dans un aquarium géant et regarder Joan se faire torturer. C'est dans ce genre de moment que mon espoir se fait la malle. Tout part en sucette dans mon subconscient, même lui n'a pas le pouvoir de se battre contre mes angoisses.
- Tu veux qu'on discute un peu pour te changer les idées ?
J'acquiesce, incapable de dire un mot de plus. Sans attendre, il se lance dans un monologue. Il me raconte son dernier voyage. Il m'explique comment il a failli rater son avion pour Londres en se trompant d'aéroport. Son anecdote m'arrache un sourire et je finis par écouter attentivement chaque souvenir. Il me détaille sa visite des rues de la capitale anglaise : Camden Market, la tour de Londres, le London Bridge, mais aussi son excursion au Warner Bros Studio. J'apprends donc qu'il adore l'univers d'Harry Potter. Il n'en faut pas plus pour me lancer. Je lui avoue mon admiration absolue pour le professeur Rogue. Je suis subjuguée par l'amour inconditionnel qu'il porte à Lily. J'espérais connaître ce sentiment un jour, mais je réalise que l'avenir s'assombrit.
- Putain, dire que ma dernière histoire de coeur aura fini sur une tromperie... soufflé-je.
Je laisse couler mes larmes et me recroqueville sur le matelas. J'avais tant de choses à vivre. J'aurais dû aimer passionnément. J'aurais dû me marier. J'aurais dû avoir deux blondinets qui courent autour de moi. Je craque. J'ouvre les vannes et évacue ma douleur. Je m'en fiche d'être pathétique, faible ou pleurnicharde. J'ai juste besoin de sortir tout ça. Je sens le futon s'affaisser, le bras de Joan se poser sur moi et son corps près du mien. Il racle sa gorge et se met à chantonner.
- She calls out to the man on the street
"Sir, can you help me?
It's cold and I've nowhere to sleep
Is there somewhere you can tell me?
He walks on, doesn't look back
He pretends he can't hear her
Starts to whistle as he crosses the street
Seems embarrassed to be there"
Je suis touchée par son geste. Ça a le don de me calmer et d'arrêter mes larmes. Sans réfléchir, je fredonne la suite, comme pour me rattacher à ma réalité.
- Oh think twice,
'cause it's another day for you and me in paradise
Oh think twice,
it's just another day for you,
You and me in paradise,
think about it...
Sa voix se mêle à la mienne et j'ai l'impression de respirer de nouveau. Je me sens apaisée et étrangement en sécurité. Il continue à fredonner et je finis par me rendormir plus détendue qu'à mon réveil.
Le pays des rêves m'accueille et j'ai espoir de m'évader un peu.

Un faisceau de lumière perce au travers des volets et me réveille. Nous n'avons pas changé de position durant la nuit et je me retrouve collée à Joan. La chaleur de cet été commence à être étouffante dans ce grenier et nos corps sont moites. Je tente de me retourner, mais à peine ai-je fait un quart de tour qu'il ouvre les yeux.
- Désolée, murmuré-je.
Il m'adresse un faible sourire. Je vois à son visage que plus le temps avance, plus cela devient difficile. Et c'est ce moment que choisit mon estomac pour se faire remarquer. La faim se fait cruellement ressentir. Mais étrangement depuis mon petit passage dans l'aquarium métallique, j'ai la sensation d'avoir un peu plus de force. Comme si j'avais reçu de quoi tenir en intraveineuse. Bêtement, je me relève et observe le pli de mon bras. Je suis scotchée. J'ai une trace. Je suis quasi sûre de voir la marque d'une piqûre.
- Joan, regarde ! Ce taré m'a piquée !
Je n'arrive pas à réaliser. On atteint des sommets dans la folie. Je ne sais pas ce qui nous attend, mais je crains le pire. Mes yeux croisent ceux de mon partenaire et je comprends qu'il sait. Il me protège à sa façon, mais je n'aime pas ça.
- J'en ai aussi, lâche-t-il en me montrant les restes sur sa peau.
Je ne sais pas si c'est sa manière de nous maintenir en vie, mais cela montre l'ampleur de sa démence, de sa psychose. Le poids du monde me tombe sur la tête. Je ne vais pas mourir de faim ici, mais je vais crever sous ses coups, sous sa torture. J'ai l'impression qu'aujourd'hui je vis le pire jour depuis mon arrivée. Tout me tombe dessus, comme un rouleau compresseur. À cet instant précis, l'espoir s'est barré. Il s'est fait la malle avec bonheur et avenir. J'en veux à la terre entière. À ma mère de m'avoir donné ce caractère de cochon, à Charlotte d'avoir organisé son anniversaire et à Quentin de m'avoir trompée. Rien de logique, je sais, mais je suis bien trop dévastée.
- Constance, regarde-moi.
Je relève le visage vers Joan et suis quasiment sûre de ce qu'il va me dire. Je ne dois pas baisser les bras, croire que le meilleur peut encore arriver pourtant là, maintenant, ce n'est que des conneries. Charles est un monstre qui va nous tuer par sa folie.
- Aujourd'hui, c'est une journée de merde alors c'est à mon tour de te porter, de me battre pour nous.
Il m'ouvre un bras et me fait signe de me blottir contre lui. Cette proximité me surprend toujours, mais je me laisse tenter. Je suis prête à prendre le moindre geste de réconfort.
- Est-ce que je peux te poser une question ? m'interroge-t-il, hésitant.
J'acquiesce. Vu ce que je suis en train de vivre, je n'ai plus rien à cacher...
- Tu ne m'as pas expliqué comment tu es arrivé ici.
Son interrogation ne me surprend pas. Je savais qu'elle arriverait. Et même si j'ai honte d'avoir été si naïve ça ne changerait pas l'issue...
- Je ne sais même par où commencer... Ça aurait dû être une super fête. Ma meilleure copine fêtait ses vingt ans. J'avais décidé d'inviter Quentin, mon petit ami. Jusque là, le tableau était parfait. Malheureusement, tout ça, c'était juste une putain de blague. D'une, je n'avais clairement pas ma place dans cette espèce de soirée.
-Pourquoi ?
Je baisse la tête et ricane. S'il savait qu'en vrai, je suis bien loin de ces filles qu'on adule, aux corps de rêve, aux sourires colgate et à la truelle en guise de pinceaux à maquillage.
- Je ne rentrais pas dans le moule. Tous les trucs superficiels c'est pas forcément ma came. Je suis, je sais pas, un peu trop nature... Bref, la fête commençait à me peser et alors que je cherchais Quentin, je l'ai trouvé fourrant sa langue dans la bouche d'une autre. Le contraire de tout ce que je suis. Je suis partie du bar jusqu'à atterrir dans un square où Charles m'a trouvé en larmes. C'est pathétique, hein?
Je le vois secouer la tête. Il a pitié de moi, c'est gentil, mais franchement ça en est presque drôle. Je suis l'idiote des films d'horreur, la blonde qui se casse la tronche en essayant de s'enfuir. Si la situation n'était pas si dramatique, j'éclaterais de rire. Je me reconcentre et lui livre la fin de mon aventure.
- J'ai discuté avec lui pendant quelques heures et au moment de partir, il a insisté pour me raccompagner. J'ai refusé et il m'a coupé la respiration, suffisamment longtemps pour que je m'évanouisse. Même pas de chloroforme, juste ses mains et mon angoisse. Je me sens tellement stupide.
Je rassemble mes genoux, pose les coudes dessus et enfouis mon visage. Je repasse l'histoire dans ma tête. Je m'en veux d'avoir été si faible ni naïve. Il y a un sentiment de culpabilité qui s'insinue en moi.
- Ne t'en veux pas, ce n'est pas toi. Ce n'est pas ta faute, chuchote-t-il avant de reprendre plus fermement. Il ne faut vraiment pas que tu t'en veuilles. Charles est malade. Tu étais une proie parfaite à cause de ton connard de petit ami.
Je suis surprise par le ton qu'il emploie, lui qui est si doux d'habitude semble amer. Et je crois bien que c'est la première fois que je l'entends dire un gros mot. Son bras se pose sur mes épaules et me rapproche de lui. Je l'entends souffler lourdement.
- Désolé. Je n'ai pas à juger.
Il s'excuse d'avoir insulté Quentin. C'est le pompon sur la Garonne. Il mériterait tellement plus qu'un simple connard. Si je l'avais en face de moi, je ne me retiendrais pas de lui montrer l'étendue de mon dictionnaire.
- Ne t'inquiète pas. Je suis bien moins polie que toi quand je repense à ses actes.
Il semble vraiment attristé pour moi. Il n'a pas à l'être, l'avantage c'est que je n'ai pas à m'inquiéter d'un potentiel amoureux transi qui pleure ma disparition. Charlotte n'a pas dû se rendre compte de mon enlèvement. Les cours sont finis donc je ne manquerais pas à mes camarades de classe. Il ne reste que mes parents. La vérité est sans appel. Je n'ai personne. La solitude me gagne. J'ai soudainement l'impression que le poids du monde s'écroule sur moi.
- Je suis épuisée... soupiré-je.
Je me détache lentement de Joan et m'installe en position fœtale. Il faut que je me repose, que je me ressaisisse. Si ce n'est pas pour moi, je dois le faire pour lui. Je ferme les paupières et me laisse porter par l'infime espoir que j'ai vu dans le regard de Joan.


-Clara ! Clara !
J'ouvre les yeux brutalement et tombe nez à nez avec celui qui se fait appeler Mathis. Son look n'a pas changé depuis notre première rencontre.
- Clara, regarde !
Il sort les mains de derrière son dos et me tend un paquet de gâteaux format familial. Le bonheur. Le paradis. Le Graal. Si je n'étais pas si épuisée, je ferais une danse de la joie. Je lui adresse un sourire franc. La vue de cette nourriture a raison de mon angoisse de le voir. Il m'apporte ce dont je rêve depuis plusieurs jours.
- Merci, Mathis, c'est vraiment très gentil de ta part.
- De rien ! Ça veut dire que tu me pardonnes pour la dernière fois ?
Lui pardonner... Comment ? J'ai conscience que c'est à cause de son excès de jalousie et de colère que Charles nous a fait souffrir à tour de rôle. Si je n'avais pas si faim, je lui cracherais à la figure. Je sais aussi que si nous avons une chance de sortir d'ici, il peut peut-être en être la clé.
- À une seule condition.
Je tente un coup de poker, soit il accepte, soit je tire une croix sur lui. Il acquiesce et je lui soumets alors ma proposition. Il semble réfléchir et l'angoisse monte en moi. Je sais que je prends un risque, mais je dois essayer. Je dois trouver des solutions pour que l'on survive.
- Je veux bien en amener aussi pour Hugo si tu joues avec moi.
Il place son doigt sur sa bouche et je comprends immédiatement qu'il repart chercher ce qu'il faut. Il referme la porte, j'entends le grincement du parquet et me retourne vers Joan. Je le réveille sans douceur et lui raconte ma conversation avec Mathis. Le pauvre me regarde complètement endormi. Il ne semble pas réaliser que nous allons manger. Certes ce n'est pas grand-chose, ni suffisamment nourrissant, mais au moins nous aurons quelque chose dans l'estomac.
- Merci d'essayer...
Étrangement le retour de notre bourreau enfant m'apporte une lueur d'espoir. Je ne sais pas ce qui nous attend, combien de temps il nous offrira à manger, mais je suis prête à tout tenter pour survivre. J'adresse un sourire franc à Joan et tends l'oreille. Au bout de quelques secondes, j'entends à nouveau la lame qui grince et mon partenaire fait semblant de se rendormir. La clé tourne dans la serrure et c'est un Mathis encore plus heureux que je revois. Il a sa grosse valise en cuir marron. Il la pose sans délicatesse au sol et l'ouvre. Je prie pour qu'il sorte de quoi nous nourrir pour quelques jours. Il se penche dedans et le temps me semble interminable.
- Je prends ça... Ah non pas ce truc...
Il finit par s'asseoir en tailleur face à sa malle. Je ne vois plus que ses cheveux. Je l'entends marmonner sans comprendre tout ce qu'il dit. Il relève la tête et je vois seulement son regard dépasser.
- T'aimes le chocolat ?
J'acquiesce silencieusement. Bien sûr que j'aime ça. Dans mes phases de coup de mou, il est mon allié le plus précieux, celui qui ne me trompe pas, qui ne m'abandonne jamais. En manger serait la cerise sur le gâteau. J'imagine le goût légèrement amer du cacao sous ma langue, le sucre qui déclenche cette vague de douceur. Je ferme les yeux et savoure ces sensations.
- C'est bon, c'est prêt !
J'ouvre les paupières et regarde Mathis déplacer son bagage. Devant moi se trouve une dînette. Deux tasses, deux soucoupes, une théière, une grande assiette en plastique où sont posés des biscuits, du chocolat. Mais tout est faux. Le choc est violent. Il n'y a rien à boire ou à grignoter. J'aimerais me tourner vers Joan, avoir son soutien, mais je sais que le moindre geste envers lui peut nous coûter cher. Je réfléchis à mille à l'heure. Je ne vois aucune solution. Je dois simplement être franche et le questionner.
- Mathis ? Je l'interpelle pour avoir son attention. Tu ne devais pas amener à manger ?
J'essaie d'être douce, mais avec lui, je ne sais jamais à quoi m'attendre. Je suis sur le qui-vive.
- Après qu'on ait fini de jouer.
Je n'ose rien ajouter de plus. Si je me plie à ses règles, j'aurais ce que j'ai demandé. Alors sans attendre, j'affiche un large sourire et attrape une tasse. Je suppose que s'il a sorti tout ça, c'est pour faire semblant de prendre le thé. Je saisis la théière et demande à Mathis ce que nous buvons exactement.
- Du chocolat chaud. Parce que t'adores le chocolat.
Torture psychologique : imaginer boire votre boisson préférée, mais il ne s'agit là que d'un mirage. Je ferme les yeux et prends une grande inspiration. Je dois prendre sur moi. Je me ressaisis et fais mine de le servir avant d'en prendre également. Je porte le mug à mes lèvres et simule.
- C'est délicieux.
- C'est normal, c'est moi qui l'a fait.
Je joue avec lui, comme si c'était naturel. Je feins la joie et la bonne humeur. La seule chose qui m'importe est le but de toute cette comédie : survivre. Nous échangeons pendant quelques minutes, mais ça me semble une éternité. Alors que nous avons terminé, Joan décide de se réveiller et de se joindre à nous. Tout comme moi, il interprète à merveille son rôle. Si je ne connaissais pas un peu, je pourrais y croire. Il demande des nouvelles de Mathis, lui explique que l'on s'est ennuyé sans lui. Il lui montre un grand intérêt et ça semble faire plaisir à notre tortionnaire. Il nous raconte qu'il passe beaucoup de temps dans sa chambre à jouer avec ses action man. J'ai le vague souvenir que mon cousin me parlait de ces jouets-là. C'était la mode dans les années quatre-vingt-dix. Note pour plus tard, le questionner sur sa date de naissance. Tout à coup, sa montre se met à sonner.
- Les copains, je dois partir, mais j'ai des cadeaux pour vous.
Il range tout ce qui est entre nous et sort de sa valise ce que nous attendons avec impatience.
C'est Noël avant l'heure. Je remercie vivement Mathis avant qu'il nous quitte.
Je me tourne vers Joan et l'observe. C'est ce visage dont je veux me souvenir, celui qui croit que tout est encore possible.

N'enferme pas nos coeursWhere stories live. Discover now