épisode quatre-vingt-neuf

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– Et il y a quoi au 171 Lake Washington Boulevard East ?

– Tu verras, je réponds fièrement. On y est presque.

Et effectivement, quelques minutes plus tard, nous passons le portail menant au Viretta Park. Les vieux bancs en bois décrépis sont vides et à cette heure, le parc est vide, mais il y a une présence invisible qui nous observe, le froncement de sourcils de Nath me laisse penser que lui aussi le sens.

– C'est quoi cet endroit ?

Je l'amène jusqu'à un petit pont en bois et m'adosse à la barrière en métal pleine de graffitis. Je désigne la grande maison qui nous fait face et m'explique :

– C'est la dernière demeure de Kurt Cobain, là où il s'est donné la mort à l'âge de 27 ans le 5 avril 1994. Ce parc sert aujourd'hui de mémorial. Tu vois celui-là ?

Je désigne le graffiti sur le sol représentant les paroles de I hate Myself And want to Die écrit avec un épais marqueur bleu pailleté.

– Je reconnais ton écriture.

– La première chose que j'ai faite après être sortie de psychiatrie c'est venir ici et écrire ces paroles. J'aime à croire qu'il est toujours là quelque part, à veiller sur les personnes qui viennent déposer des offrandes ici pour s'assurer que personne n'arrivera à son stade de désespoir, et dans un sens, c'est la vérité... Après tout, j'ai survécu et j'ai croisé ta route quelques semaines plus tard.

– Octavia...

– Quand je vivais encore chez ma mère, je venais ici tous les matins, je le coupe.

– C'était un peu ta version du petit-déjeuné devant Tiffany's ?

– Exactement ! je confirme en souriant.

Je soupire et pose ma tête contre son épaule en regardant le ruisseau s'écouler devant nous.

– Ok, j'admets que c'est un endroit super paisible, admet Nath au bout de quelques minutes. Mais tu me crois si je te dis que j'ai jamais écouté une seule musique de Nirvana ?

Je m'écarte de lui, outrée.

– Mon père... reprend Nath. Enfin c'est pas un groupe que j'avais le droit d'écouter.

– Il va falloir qu'on s'occupe de ça parce que c'est le meilleur groupe du monde ! Je t'enverrai vers Ginny si tu veux, c'est elle la spécialiste de la culture musicale, je doute que tu sois du genre à écouter Marina ou Taylor Swift.

Il grimace, confirmant mes impressions et reprend :

– Et si je t'offrais un café ?

– Et si moi je t'en offrais un ?

Nous échangeons un regard entendu. Il semble que Nathaniel soit l'un des derniers gentleman de ce monde puisqu'il insiste chaque jour pour me payer un café, ce que je n'accepte pas. Résultat, une petite guerre s'est installée entre nous et chaque jour et une nouvelle bataille qui me force à redoubler de ruse et de finesse pour gagner la guerre du café.

***

– J'arrive pas à croire que ce soit fermé ! je marmonne.

– Tu sais, les employés ont aussi le droit de prendre des congés, blague Nath.

– Ouais bah la patronne pourrait faire un effort et s'occuper du café elle-même, surtout vu comment elle est agréable.

– Moi je la trouve plutôt sympa.

Je lui lance un regard réprobateur. Bien sûr que cette vieille blondasse est sympa avec lui, il ressemble à un ange.

– J'ai vraiment envie d'un café caramel... je marmonne.

– On peut toujours aller au Starbucks de la quatrième.

– Non, j'aime pas Starbucks, c'est-

– La représentation même de tout ce qui ne va pas dans notre monde capitaliste, me coupe Nath.

Je le singe avant de reprendre :

– J'en ai chez moi... je reprends.

– Tu veux aller chez toi ?

– Et bien c'est pas loin, et mon père est de garde alors...

– Quel genre de personne serais-je si je t'empêcher d'avoir ta dose de caféine...

J'éclate de rire et prend sa main pour l'entraîner vers le parc avec moi.

– Au fait... reprend-t-il d'une voix hésitante. Hier j'ai reçu la visite de ma mère.

Ce qui explique pourquoi il a annulé nos projets de la semaine prochaine à la dernière minute, et moi qui pensait qu'il avait juste reçu un sms de sa part...

– Ah ? je demande, tendue. Bonjour l'ambiance...

– Tu n'imagines même pas ! Elle se rend bien compte qu'elle a raté quelque chose mais elle croit qu'elle réussira à tout arranger en organisant des dîners et en faisant le messager entre mon père et moi.

Typique, ma mère a fait la même chose pendant les semaines qui ont précédé le procès. C'est d'ailleurs comme ça qu'elle a reçu une injonction d'éloignement. Elle ne se rend pas compte que...

Son visage affiche une expression triste qui me donne envie de lui faire un calin et de le protéger contre toute sa famille de merde. Personne ne devrait avoir le droit de blesser un garçon comme lui.

– Que ? je demande en prenant la voix la plus douce possible.

– Qu'il lui suffirait d'être présente pou fils tout simplement, répond-t-il. D'être là pour moi aux moments importants, au lieu de vouloir faire comme si les problèmes appartenaient au passé.

– Elle compte venir pour la journée de l'art vendredi ?

– Apparemment, confirme Nath. Elle se montre de temps en temps pour se déculpabiliser mais je n'arrive pas à avoir de vraies conversations avec elle.

– Est-ce que vous en aviez avant que tout ça n'arrive ?

– Pas vraiment en fait.

Il soupire et arrête de marcher avant de reprendre :

– C'est stupide mais depuis que je suis émancipé, j'ai l'impression de vouloir forcer mes parents à changer mais je me fais sans doute beaucoup d'illusions.

– Nath... je souffle avant de prendre son visage en coupe dans mes mains. Ta réaction est légitime, tu as le droit d'espérer qu'ils finissent par changer, j'espère sincèrement que ça arrivera. Certains arrivent à apprendre de leurs erreurs.

– Rien n'est moins sûr. 

 

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this is me trying || Amour SucréWhere stories live. Discover now