Chapitre 3: Au-delà des cerisiers en fleur...j'ai pleuré

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Mes parents m'ont quitté peu après deux heures de l'après-midi.

Même si c'est un jour de floraison, le travail n'attend pas.

Et le mien aussi.

Après avoir photographié les nombreux gosses se baignant dans une piscine de pétales, je me suis réfugié dans les coins les plus reculés du parc.

Après tout, ce n'est pas seulement pour les familles que volaient les fleurs de cerisiers.

Je m'enfonce un peu plus dans le site.

Voir le côté plus floral, naturel de cette fleur magique à mes yeux ne pouvait que mieux représenter le pays du soleil levant. Et de toutes manières, cet arbre que je suppose être intemporel est magnifique en toute saison. Je longe sans m'en rendre compte un chemin tapissé de rose.

Un chemin que je reconnais.

Je souffle du nez en pensant qu'il n'a pas changé. C'est un endroit que j'aurais bien voulu oublier. Je marche avec l'appareil autour du cou. Je ne veux pas souiller la pellicule d'un souvenir dont je ne veux pas me rappeler.

Les arbres se taisent en ma présence, comme s'ils avaient compris le mal dans ma poitrine, cessant de chanter avec les bruissements des branches, le chant des oiseaux batifolant s'est stoppé à mon arrivée dans le sentier de cette image brouillée par mes larmes. Je prends le temps avant d'arriver à destination, de peur de retrouver cette histoire au fond de ma mémoire.

L'endroit de mon premier amour.

Au début, cela a été le lieu où je me recueillais quand je me sentais seul.

C'est lui qui a su le changer.

Je l'ai rencontré en automne. 

Il m'avait dit que ça l'amusait de venir à cet endroit dit magique.

Pour ma part, le jour où je l'ai croisé, il ressemblait aux feuilles vermillons de part ses yeux et ses cheveux volcaniques qui s'envolaient pour un autre monde.

On s'est fréquenté de plus en plus et lorsque est arrivé le printemps, il m'a embrassé pour la première fois. Je n'avais que dix-huit ans. Son sourire n'avait d'égal à son physique.

Robuste comme les chênes des pays occidentaux.

Sa peau aussi douce que le coton, ses lèvres aussi pulpeuses que des pêches à la cueillette, qui avaient effleuré les miennes. Ses cheveux crépusculaires brillaient au soleil. Il avait tout pour plaire. Sa joie de vivre, son humour, son franc parlé.

Même ses défauts me plaisaient.

Sa maladresse, ses bégaiements.

J'en ris rien qu'en y repensant.

Le jour de notre première année, il m'avait emmené ici, un printemps comme celui-ci, pour une journée mémorable. Balade au bord de la rivière, caresses sous la masse de pétales rosés tombée lors des premières floraisons. Il voulait à ce moment-là fêter mon anniversaire le jour de l'Hanami.

Et je ne l'avais jamais regretté.

Il m'avait offert une chaîne en argent, mais aussi bien autre chose de plus précieux.

Oui, c'était aussi le jour de ma première fois.

C'était un moment magique, voir nos corps nus, en tenue d'Adam sous les draps parfumés de cet arbre, symbole d'amour et de légèreté. Cette fleur rose qui chaque année fleurissait sur le bois noir et le coeur des gens. Cette couleur qui m'avait envoyé dans un monde où je ne pouvais qu'être qu'avec lui, et lui seul. Il m'avait fait voir la multitude de couleur que cette plante pouvait avoir. À mon réveil il me regardait avec douceur, avec tendresse, s'amusant à me recouvrir de cette neige rose. Il avait pris ma main, la baisant du bout des lèvres.

"Je ne lâcherai plus jamais ta main... " Disait-il.

Je m'attendais l'année suivante qu'enfin il me demanderait en mariage lorsque, cette même saison, il m'avait appelé pour qu'on se rejoigne sous les cerisiers. J'avais acheté de quoi pouvoir déjeuner sous le beau temps ensoleillé, comme tous les autres en cette période de l'année.

Mais lorsque que je l'avais vu, sous la couronne de fleurs printanières, embrasser un autre que moi, mon monde s'était effondré.

J'avais fait tomber le sac, alertant ainsi le couple démasqué de leur acte.

Bizarrement, je ne m'étais pas mis en colère.

J'aurais peut-être dû.

Mais je n'y étais pas arrivé. Pourtant se sentir cocu en voyant ce type embrasser un autre devant moi...

J'étais parti en courant avant d'entendre ses excuses en guise d'explication.

La seule chose que j'avais faite était de brûler ses affaires après l'avoir appelé pour lui dire que c'était inutile de revenir à l'appart. Il y avait cette période où il me harcelait au téléphone jusqu'à ce que cela s'arrête. Pendant ce temps-là, je pleurais toutes les larmes de mon corps. Je pleurais des moments que l'on avait passés, des sourires factices qui étaient restés dans ma tête tels une toile d'araignée. Et la délicatesse de son toucher qui était resté ancré sur ma peau devenue une substance répugnante.

C'est à ce moment-là que j'ai commencé à détester le printemps.

Une saison briseuse de couple, de mensonges parfumés et porteurs de chagrin alors qu'on fête le renouveau et l'amour.

J'arrive au bout du chemin, des couples se promenant dans l'immense espace fleuri de roses pâles. Je sors mon appareil, la poitrine battante, en revoyant la silhouette de cet homme qui m'avait brisé le cœur.

Une larme tombe d'une de mes joues. 

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Au-delà des cerisiers en fleurWhere stories live. Discover now