6 - Vent de folie

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Morgane se réveilla en sursaut. Ses vêtements poisseux engluaient contre sa peau. Elle se redressa, hagarde, cherchant la lumière. Ses muscles se détendirent d'eux-mêmes quand ses yeux la trouvèrent. Là, dans l'embrasure de la porte. Tout allait bien.

Elle se redressa, fit craquer sa nuque endolorie. Après une toilette rapide, penchée sur le lavabo, elle se changea et se recoiffa. Elle avait pour habitude de porter ses cheveux en couronne tressée, lorsqu'elle devait travailler. Elle préféra ne pas les lâcher. Faire quelques contrôles de routine en salle des machines s'avérerait vital, dans les jours à venir.

Une fois changée, elle se plongea quelques instants dans la lecture des schémas du moteur, s'intéressant en parallèle au cahier de suivi. Sur les pages jaunies et noircies de cambouis, les machinistes de l'Aube notaient toutes leurs observations à la fin de chaque traversée. On avait déjà répété maintes fois que l'axe moteur devait être changé... Mais à la saison chaude, quand on avait mis le navire en cale sèche pour une révision complète, la compagnie n'avait voulu verser les fonds nécessaires pour racheter la pièce. Elle n'avait que deux ans, et elle coûtait cher. On n'avait préféré investir dans la rénovation de la coque.

Morgane claqua la couverture du cahier, réfrénant mal son irritation. Il était vrai que l'imperméabilité du navire laissait à désirer, la saison dernière. Mais elle aurait préféré avoir un axe moteur fonctionnel qu'une coque rutilante, là où elle se trouvait.

Parce-que plus elle remontait les pistes, plus il lui semblait évident que le problème venait de là. Et, elle, elle ne pourrait rien y faire.

Agacée, elle décida qu'il était temps de s'extirper de sa cabine. Elle replaça sa lampe près de l'entrée, l'éteignit et sortit dans le couloir. Son obscurité oppressante lui donna la chair de poule. Le fait qu'il y retentisse des murmures n'arrangea rien à la chose.

Intriguée Morgane s'approcha de l'origine des voix. Elles prenaient leurs sources au pied de l'escalier, dans le halo de lumière du poste de contrôle. Elle allait se montrer, comptant par la même occasion rejoindre l'étage, quand elle reconnut la voix de Cassandre. Elle se figea. Son corps, de lui-même, refusait d'avancer et de croiser ce garçon. Alors elle se plaqua contre le mur et attendit, partagée entre l'envie de se forcer à poursuivre son chemin et celle de retourner dans sa cabine.

- C'est impossible ! Souffla Sharkelle, son accent prononcé facilement identifiable.

- Je t'assure que c'était lui ! Je t'assure, je... J'ai peur. J'ai peur. Ça recommence, ils ne me laissent pas tranquille !

- Il faut que tu retournes voir Nina, Cassandre ! Je ne peux rien faire pour toi, moi.

- Non ! Non, pas Nina !

- Mais qu'est-ce que tu espères de moi, bon sang ?

- Et puis cet endroit... Je n'en peux plus ! Il faut que je sorte.

- Tu sais bien que c'est impossible !

- Je m'en fous ! Ce bateau me scie les nerfs tu... Tu l'entends qui craque, tout le temps ? On dirait qu'il va se casser en deux, on n'est pas en sécurité, ici !

- Dehors non plus.

- Il va nous tuer, ce bateau Sharkelle ! On va crever quand il coulera, tu verras. Il va nous écraser.

- Non, nous en sortirons avant. Nous ferons en sorte d'en sortir avant.

- On va mourir ! On va mourir, on va mourir, on va mourir !

Morgane, derrière son mur, céda. La folie qui grimpait dans la voix du jeune homme lui faisait l'effet d'un poison acide dont elle reniflait les relents. Elle n'en pouvait plus, il fallait qu'elle échappe à cette conversation dénuée de sens. Il fallait qu'elle s'en aille.

La Grande BlancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant