4 - Les lames

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C'est un long râle d'agonie, un interminable crépitement que la musique de ces terres. C'est sans cesse un coup d'épée dans l'âme qui vous la fend en deux. Le tranchant d'une hache dans le cœur qui vous rappelle que vous êtes perdu. Hier encore, je crus bien mourir de folie.

À présent que je comprends qu'il n'est nul endroit ici où le silence se fait, je me souviens du charme qu'avait le calme.

Et parfois, j'entends chanter sous la neige.

Suis-je déjà morte ?

Carnet d'observation

Mileïlle d'Arseuil

date inconnue - 1807

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La machiniste observait, fascinée, les allées et retours de l'aiguille. Nina, la femme aux cheveux bleus, rivait un regard imperturbable dans le miroir que lui tendait le borgne, de son petit nom Mikaël. Impassible, elle recousait sans le moindre tressautement, sans la moindre grimace, sa propre plaie.

Ainsi le trait d'argent perçait-il sa chair, traînant un fil noir dans son sillage, pour réapparaître de l'autre côté.

Lorsqu'elle eut terminé, elle coupa le fil d'un geste de poignet habitué, désinfecta le tout et rangea avec application son matériel dans la trousse de soins qu'elle avait dégotté.

En matière de soin, l'Aube était largement équipé.

Nina était médecin de bord. Elle avait inspecté sans scrupules chaque membre de l'équipage avant de s'occuper de son front. Au grand dam de certains d'ailleurs, qui n'aimaient de toute évidence pas être inspecté de près. Morgane elle-même avait eu droit à ses attentions, et son épaule était désormais nettoyée, soignée, et blanchie d'un pansement impeccable.

À présent que tout le monde s'était remis de la fracassante annonce du capitaine, et un silence religieux était tombé dans le poste de contrôle. Après le brouhaha de l'angoisse ne restait plus que le crépitement de la neige sur les carreaux. Même l'orage s'en était allé.

- Et maintenant ?

Une voix tremblante s'était enfin élevée dans la pièce. Morgane l'identifia comme étant celle du jeune blond qui frissonnait de la tête aux pieds. Ce garçon-là ne devait pas avoir seize ans. Elle se demanda avec un pincement au cœur comment il en était venu à s'engager chez les pirates. Une âme si innocente déjà perdue dans les noirceurs de la cupidité...

Le regard d'Izac, à cette question, se durcit.

- Il faut que nous prenions une décision. Répondit-il après un long moment. L'Aube est échoué, les moteurs sont arrêtés. Nous ne pouvons faire demi-tour, la barre et les appareils de navigation sont inutilisables. Nous avons tout essayé, il ne nous reste plus qu'une solution...

Son regard s'assombrit, ses lèvres se pincèrent de frustration.

- On lance un S.O.S, ce n'est plus une option.

Cette déclaration déclencha aussitôt une salve de murmures furieux. Puis une femme éleva la voix.

- Ils ne viendront pas pour nous, Izac ! Jamais ! Ils nous laisseront crever dans la glace, parce que c'est bien plus simple pour eux...

Morgane sentit, à sa grande surprise, la main du capitaine se déposer sur son épaule. Elle ne ressentit aucune douceur, dans ce geste, mais une urgence électrisée et une attention possessive.

- Ils ne viendront jamais pour nous, Sharkelle. Confirma-t-il, un sourire dans ses mots. Mais ils viendront pour elle.

Un mutisme stupéfait tomba sur l'équipage. Personne n'avait, visiblement, envisagé cette possibilité. Alors que tous les regards convergeaient vers elle, la machiniste songea qu'elle n'avait pas à craindre ces gens. Après tout, ici, sur ces terres, ils étaient comme elle.

La Grande BlancheWhere stories live. Discover now