L'Arbre des mauvaises décisions

4 : Leçon théorique

Pendant les mois où il s'était demandé s'il serait capable d'être un élève attentif face à un Estaffes, Jurençon avait cru qu'il lui faudrait bien du temps pour pouvoir se concentrer sur le cours enseigné au lieu de se soucier du danger qui planait.

Mais finalement, il était extrêmement concentré sur la théorie magique que l'Hélios lui racontait, buvant ses paroles avec une assiduité digne de celui dont il usait lors des apprentissages fournis par les Élitiens eux-mêmes. Il l'observait en silence, le visage grave, écoutant ses conseils un à un tout en s'imprégnant bien de ses divers avertissements et sur sa remarque principale :

— Cela ne vient pas en un jour, il faudrait être très patient... Tu es capable de sentir instinctivement la magie, c'est déjà un signe positif, mais ce n'est pas une garantie que tu la maîtriseras pour autant.

— Le pire qui puisse m'arriver, ce serait d'échouer, non ? questionna le demi-Hélios.

— Le plus souvent, oui. Lancer un sort n'aboutit pas toujours à ce que l'on souhaite, et tes aïeuls ont probablement bien des histoires où eux-mêmes ont parfois tenté des sortilèges très simples sans qu'il ne se passe rien. Mais il peut arriver, plus rarement, que ta concentration soit assez importante pour faire appel à la magie, mais que tu ai négligé ta mesure pour la contenir. Ce serait comme déplacer la digue d'un barrage en pensant la contenir avec ses bras. Tu pourrais te retrouver englouti et te blesser toi-même, la magie cherchant à s'accrocher à tout ce qui l'entoure pour subsister si elle n'est pas canalisée... et en l'occurence, ton corps en serait la première victime.

— Est-ce que c'est la même chose pour nos arbres dorés ?

L'Hélios posa son regard sur l'arbre doré du plus jeune, restant silencieux quelques instants, ses yeux brillants d'une lueur que Jurençon n'arrivait pas à 

— Mets la main sur ton arbre.

Le regard du demi-Hélios s'assombrit aussitôt, repensant au traître qui lui avait jeté un éclair des années plus tôt dans les allées de ce même labyrinthe car il n'avait pas prononcé le Serment noir. Le traître que personne n'avait réussi à retrouver. Le traître qui rodait peut-être encore. Jurençon savait qu'il lui faudrait endormir l'Estaffes toutes les fois possibles, pour éviter que cet Élitien noir n'aille dans le labyrinthe un jour et ne découvre que son maître Hélios était éveillé pour comploter avec lui.

— Je ne te demande pas de prononcer le Serment noir, lâcha l'Estaffes d'un ton suave. Contente-toi de mettre la main sur ton arbre, et ferme les yeux.

Voyant que le demi-Hélios n'obéissait pas, l'Hélios soupira et mit lui-même une main gantée sur l'un de ses Exploits, fermant les yeux, incitant Jurençon à l'imiter.

— Tu sais maîtriser ton arbre de manière instinctive, c'est naturel. Tu sais comment puiser l'énergie de l'Arbre doré pour l'utiliser dans ton propre arbre, et t'en servir pour lancer des éclairs, blanchir ou durcir ta luide. Mais ce ne sont là que les usages habituels des Élitiens, ceux que le Premier Élitien avait dévoilé au cercle des Trente quatre siècles plus tôt. Beaucoup d'élèves de l'Élite ont tenté d'expérimenter, de créer de nouvelles méthodes d'utilisation au cours des siècles, mais bien peu ont réussi, avoua l'Estaffes. Ils ont échoué là où nous avons réussi, mon frère et moi... là où tu vas réussir toi aussi.

Jurençon sentit un frisson d'impatience courir le long de son dos. Voilà si longtemps qu'il n'avait rien pu apprendre de véritablement nouveau au sujet de sa luide, et les paroles de l'Hélios ne faisaient que le mettre en appétit sur le domaine de la magie, qui pouvait s'exporter jusqu'à celle de sa luide.

— As-tu déjà tenté par toi-même certains actes par le biais de ta luide ? voulut savoir l'autre homme.

— Je ne crois pas... J'ai tenté une fois de voir si je pouvais devenir invisible, puisqu'on peut blanchir sa luide, mais... disons que c'est la luide uniquement qui est devenue invisible.